Exemple de synthèse rédigée : L'automobile dans notre société
S'ils
traitent tous de l'automobile dans notre société, les quatre documents
proposés abordent ce thème selon des modes de réflexion différents.
Dans le premier, c'est en sociologue que le sémiologue Roland Barthes
tente de définir les rapports du public avec la voiture en général,
puis avec un modèle particulier d'automobile ; les documents 2 et 3
recueillent les avis de professionnels (responsables de grandes marques
et président de la Fédération française des clubs automobiles) sur
la situation commerciale de l'industrie automobile ; enfin une publicité
permet de saisir les arguments du vendeur et les mobiles de l'acheteur.
Plus de vingt années séparent la publication de Mythologies
(document 1) de celle des trois autres documents. Une évolution très
nette, amorcée dès la sortie de la D.S. dans les années 50, s'est
produite dans l'attitude du public à l'égard de l'automobile.
Lorsque
la D.S. est parue, l'automobile n'était pas à la portée de toutes les
bourses ; seuls les privilégiés avaient accès à son usage ; mais
elle était «consommée dans son image, sinon dans son usage, par un
peuple entier». Quelle image le grand public se faisait-il de cet objet
? Roland Barthes la décrit avec un certain humour dans les deux
premiers paragraphes de la page proposée. L'automobile était considérée
comme un «objet magique», surnaturel, le public étant ignorant des
modalités de sa création. Elle incarnait à la fois une tradition
merveilleuse («La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel») et
la foi superstitieuse dans le progrès. Barthes transforme ironiquement
le nom donné à la voiture, D.S. en «déesse» (sans doute les
publicitaires y avaient-ils songé aussi), et stigmatise la «néomanie»,
l'obsession du nouveau, pour rendre sensible l'attitude du spectateur
captivé. Cette fascination tenait d'abord à l'esthétique de l'objet
(la ligne de la D.S. était particulièrement étudiée et originale),
mais aussi à ses pouvoirs («La voiture superlative tenait plutôt du
bestiaire de la puissance»). Aujourd'hui
encore, la ligne d'une voiture est son premier, sinon son principal
attrait aux yeux de l'acheteur éventuel, ainsi qu'en témoigne
l'exemple de publicité où la photographie de la nouvelle Simca, sous
une perspective flatteuse, occupe une bonne moitié de la page ; le
texte accompagnant le cliché prouve que la «néomanie» persiste,
quoique sous une forme plus rationnelle : une formule redondante, «L'innovation
de l'année», enrichie d'allitérations pour entretenir la mémoire,
reprend le thème du titre et des sous-titres («la voiture de l'année»)
et est complétée par l'adjectif «nouveau» à la fin de l'annonce.
Cependant,
dès 1954, Barthes pouvait signaler une modification de l'intérêt du
public : l'ère du «fonctionnel» commençait. La comparaison entre le
tableau de bord de la D.S. et l'établi d'une cuisine amène la mention
de la «gourmandise de la conduite» : après la phase de vénération,
après avoir «consommé l'automobile dans son image», le candidat
automobiliste pouvait la «consommer dans son usage». Les vendeurs avisés
le lui proposaient, et de nouveaux rapports s'instauraient entre l'objet
et l'acheteur éventuel ; la «déesse» se «prostituait» et le client
l'appréciait sensuellement (noter la progression des adjectifs employés
dans le dernier alinéa : touchés, palpés, essayés, caressés, pelotés). Aujourd'hui,
la «visite» de la voiture est devenue monnaie courante : c'est un des
thèmes de la publicité pour les Simca 1307 et 1308, où l'on nous
invite à prendre le volant en nous souhaitant «Bienvenue à bord».
Mais il ne s'agit plus simplement de s'abandonner à la «séduction»
de la voiture : «A vous de juger» nous apostrophe-t-on en gros caractères.
Le visiteur du Salon de l'Automobile de 1975 suit cette injonction : il
s'informe et pose des questions techniques, ainsi que l'attestent trois
responsables commerciaux sur les quatre interviewés dans le document 2.
Les publicités s'adaptent à ce nouvel intérêt, et font appel aux
notions techniques : «la traction avant de l'année» (Document 4). Quant
à la mutation vers l'«ustensilité» amorcée dès 1954, elle est
achevée : performance devient désormais synonyme de sécurité, la
vitesse n'est même plus mentionnée, le souci du confort et de l'équipement
prime, c'est dans ce domaine que se multiplient les gadgets plus ou
moins utiles, sur lesquels insiste la publicité proposée.
Évidemment,
la «conjoncture», rappelée dans les documents 2 et 3, n'est pas étrangère
à ce renversement des valeurs : la crise, pétrolière d'abord, générale
ensuite, a réveillé le souci de l'économie, d'énergie d'abord (bien
qu'il ne soit pas encore fait mention à cette époque des
consommations), en tous domaines ensuite (la publicité indique le prix
des voitures). Cette préoccupation d'économie, que ne pouvait prévoir
Roland Barthes, a contribué à déconsidérer la vitesse. Malgré le
dynamisme des créateurs, loué dans le document 3, et l'intérêt des
clients pour les nouveaux modèles, signalé dans le document 2,
l'industrie automobile se relève difficilement de cette crise ; la
place de l'automobile dans notre société semble au contraire même
contestée, y compris en haut lieu, si l'on en croit les commentaires de
M. de Waresquiel sur la fiscalité qui frappe les voitures.
On
peut d'ailleurs comprendre les hésitations gouvernementales à l'égard
de notre moyen de locomotion favori. L'automobile,
depuis 1954, s'est largement démocratisée, et a nécessité la mise en
place d'équipements importants (autoroutes). Elle est devenue nécessaire
à beaucoup de nos contemporains, qui l'utilisent pour se rendre à leur
travail, mais aussi pour leurs loisirs. En milieu rural, elle est quasi
indispensable, d'autant plus que les moyens de transport collectifs, peu
rentables, ont été souvent supprimés (cas des chemins de fer
desservant de petites gares). L'automobile permet certes de voyager à
son heure, de choisir son itinéraire et ses compagnons de voyage, ce
qui satisfait l'individualisme de beaucoup d'hommes aujourd'hui ;
apporte-t-elle pour autant la liberté individuelle, comme le prétend
l'auteur du document 3 ? On peut en douter, quand on voit les
automobilistes emprisonnés dans un réseau de sens giratoires,
interdits, ou coincés dans de longues files de voitures qui envahissent
souvent nos voies de communication. D'autre
part, l'automobile représente le secteur le plus actif de l'industrie
française, tant par les usines de fabrication proprement dites que par
les productions annexes. Elle est grande pourvoyeuse d'emplois. Peut-on
envisager sereinement, en période de chômage, de réduire cette
activité ? Certaines firmes ont d'ailleurs envisagé une ébauche de
reconversion, ou plutôt de fabrications complémentaires (bicyclettes). Cependant,
outre la crise économique, la voiture subit une crise psychologique :
protestations des écologistes contre la pollution de la nature et des
villes par les gaz d'échappement, campagnes pour la sécurité routière.
Après avoir été un mythe, puis le «signe d'une promotion
petite-bourgeoise», selon le mot de Roland Barthes, la voiture tend
enfin à devenir un outil dans l'esprit de ses utilisateurs. |