Synthèse de documents : la commémoration

 

Corrigé : Les étapes du travail jusqu'au plan très détaillé (après quoi il ne reste plus qu'à rédiger … et ce n'est jamais le plus difficile !)

 

A - Lecture attentive du sujet : il se concentre sur deux consignes précises (en dehors des consignes habituelles) :

1) nécessité pour les sociétés actuelles de commémorer leur passé ; 2) ambiguïté de ce besoin.

Nécessité  : c'est quelque chose de nécessaire (le mot est fort), c'est un besoin… peut-être même un devoir.

Ambiguïté : ce besoin n'est pas clair, il exprime peut-être autre chose, il s'y joue quelque chose d'autre que le besoin naturel de « se souvenir ensemble » (= commémoration).

 

Attention : il s'agit des sociétés actuelles (= contemporaines). Alors, épargnez-nous les « De tous temps les sociétés ont… »

 

D'ailleurs,

 

B - Les documents proposés : Ils sont très contemporains (les uns des autres, et tous de notre époque) : 1993 (Levi), 1994 (3 autres) et Encyclopaedia Universalis (la dernière mouture doit dater de la fin des années 80).

 

C - Lecture des documents : Nous allons donc lire les cinq documents en y cherchant en quoi ils traitent 1) de la nécessité des sociétés actuelles de commémorer leur passé ; 2) de l'ambiguïté de ce besoin.

 

Nous allons relever méthodiquement (sur un recto de feuille de brouillon pour chaque document) ce qui répond à ces deux questions, en rangeant chaque idée intéressante (de ce double point de vue) dans une case 1 et dans une autre case 2 selon que cette idée répond à la première ou à la seconde question.

 

D - Mise au point du plan détaillé : Une fois ce travail achevé, nous avons cinq rectos de feuilles de brouillon, et une masse importante d'idées dans chaque « case » (nécessité/ambiguïté).

 

Nous n'avons pas à nous inquiéter de trouver un plan « original » : il nous est suggéré par le sujet !

 

Nous n'avons plus qu'une préoccupation : il est impossible de jeter « en vrac » cet amas d'idées réunies dans chaque case. Il faut essayer d'y mettre de l'ordre, peut-être même de mettre en place une progression des idées qui nous parlent de la nécessité de commémorer, dans la première partie, puis, dans une seconde partie, des idées qui mettent en évidence l'ambiguïté de ce besoin. Pour ménager l'intérêt du lecteur, on pourrait ainsi aller des raisons les moins importantes vers les plus importantes, et ce dans chacune des parties.

 

Bilan d'étape : Jusque-là, rien de bien difficile. La démarche doit simplement être ordonnée et méthodique. Tout dépend en fait de la qualité de la lecture des documents, qui dépend elle-même de la clarté des questions que nous leur posons (mais elles sont toutes les deux explicitées dans le sujet, alors…!)

 

Voyons ce que pourrait donner ce plan détaillé et ordonné

 

1ère partie : Nécessité de la commémoration (ou : le devoir de mémoire)

 

A) pour rappeler ou maintenir le souvenir

1- car il y a un risque d'oubli (qui frappe en particulier les Juifs français [2]), voire une volonté systématique d'anéantir cette mémoire à sa source en rendant impossible la connaissance de l'événement : exemple des massacres ordonnés par les nazis [5] : le IIIème Reich a ainsi mené une guerre contre la mémoire.

2- Au contraire, volonté de se souvenir manifestée très tôt par les acteurs eux-mêmes combattants de la 1ère Guerre [2] et toujours maintenue par les résistants à l'heure actuelle [1] ; mais aussi travail des historiens professionnels [3].

3- Cette commémoration, particulièrement destinée aux jeunes générations auxquelles il faut transmettre le souvenir [2] illustré par [1] : 6 000 jeunes figurants lors de la commémoration de la Libération de Paris.

4- De là, création de « lieux de mémoire » [3] : monuments aux morts [2] pour symboliser ce souvenir.

 

Petite transition 1A-1B : mais ce souvenir doit aussi être inscrit dans la durée.

 

B) pour assurer la continuité temporelle

1- car risque de rupture avec le passé provoquée par la modernité et la mondialisation [3], mémoire collective indispensable à toute société [4] ;

2- ce besoin de réenracinement, de connaître l'héritage historique [3-4-2] permet d'inscrire les « événements fondateurs » (cinquantenaire de la Libération de Paris [1-3], bicentenaire de la Révolution [1]) dans la permanence d'une histoire continue reliant passé, présent et avenir [2-3 = cas de la Prusse fêtant son millénaire].

3- A la limite, ce souci de pérennité en arrive à poser les événements fondateurs comme intemporels [2].

 

Petite transition 1B-1C : La commémoration permet surtout de répondre à une nécessité politique.

 

C) pour forger une identité, une unité nationale

1- la commémoration a pour but de construire une identité nationale collective et, pour cela, elle cherche à délivrer un message, à inculquer des valeurs communes, telles que la morale du devoir [4-2] ou la glorification de la liberté à travers une figure hautement symbolique, comme celle de de Gaulle [1-3]

2- à partir de là, institutionnalisation des cérémonies commémoratives [2] destinées à rassembler le peuple dans des célébrations nationales, particulièrement en France où elles rencontrent un grand succès [1-3].

 

Bilan de cette première partie et transition vers la seconde :

La commémoration apparaît donc comme une nécessité vitale pour les sociétés actuelles ; mais les modalités de cette commémoration sont marquées par une triple ambiguïté.

 

Seconde partie : Les ambiguïtés de la commémoration

 

A) La commémoration oscille entre souvenir et spectacle

1- La commémoration, pour maintenir vivant le souvenir, doit prendre une « forme imagée et concrète », celle du spectacle [4-3] ; ainsi, pour fêter la Libération de Paris, grand spectacle conçu par metteur en scène, peintre et musicien et représenté par des milliers de figurants [1]

2- mais cette dramaturgie révèle une distorsion entre l'intention glorificatrice et une réalisation décevante : spectacle vide d'émotion pour un public dérouté, voire frustré ; paradoxe d'une cérémonie exaltant la liberté mais interdisant la participation du public [1]

3- Il ne s'agit certes pas d'une mise en scène comparable à celle de Hitler dans son Bunker [5], mais d'une commémoration dénaturée en spectacle, dont l'effet de masse, de surcroît, ne peut être perçu que par le téléspectateur, ce qui réduit d'autant plus sa portée [1]

 

Petite transition 2A-2B : mais la commémoration est aussi l'objet d'une récupération plus insidieuse…

 

B) La commémoration, entre passé et présent

1- La commémoration doit être fidèle au sens de l'événement fondateur (figurer la foule des Parisiens d'août 44 par l'image de la mer) et se déroule sur les lieux mêmes, mais elle est, en fait, une « reconstruction » obéissant toujours aux impératifs du présent [2-3-4] ; elle veut ainsi rappeler la victoire du passé mais aussi consolider la paix.

2- A l'extrême, l'appropriation du passé se fonde sur deux visions radicalement opposées : exemple du millénaire de la Prusse commémoré par la RFA et la RDA, chacun de ces États interprétant le passé selon son idéologie politique actuelle et l'exploitant abusivement pour imposer un sens déterminé à l'histoire [2] ; de même, le marasme politique actuel en France renforce la nostalgie de l'homme providentiel incarné par de Gaulle à la Libération [3].

3- Ainsi, la commémoration n'est qu'un compromis « entre le passé et le présent » [4] : elle reflète des aspirations d'une « mémoire déchirée » [3] ne parvenant pas à retrouver le sentiment de continuité [2] autrement que par l'imaginaire.

 

Petite transition 2B-2C : En dernier ressort, c'est toute la signification de la commémoration (sa vérité) qui est remise en question…

 

C) La commémoration oscille continuellement entre le mythe et l'histoire.

1- Le mythe est nécessaire pour donner vie à l'histoire [3] et la commémoration agrandit l'histoire aux dimensions du mythe en combinant le souvenir et le rêve à travers une manifestation festive, faisant simultanément référence à de Gaulle et au poème d'Eluard [1 : « Libération, j'écris ton nom » ] : souvenir ainsi magnifié par la poésie.

2- mais ce mythe constitue une déformation, voire une manipulation : il est le produit d'une « amnésie sélective » qui tronque le passé en gommant ses aspects déplaisants et en occultant le rôle de certains acteurs dans la libération de Paris [3].

3- Cette idéalisation du passé à laquelle s'oppose le travail patient et rigoureux des historiens [3] reste sans commune mesure cependant avec les mensonges généralisés du nazisme et le délire hitlérien [5], mais elle montre que la mémoire collective fabriquée par l'entreprise commémorative ne suffit pas, à elle seule, à fonder l'unité nationale [3] que la société désire réaliser pour son profit : tel est, selon [3] le leurre de la commémoration.

 

Conclusion générale et bilan d'ensemble du devoir

 

Il y a donc bien clairement une nécessité, un besoin, voire un devoir de commémoration pour des sociétés modernes qui sont menacées d'éclatement, mais l'entreprise commémorative est pleine d'ambiguïtés, de dangers, de manipulations délibérées du passé pour mieux contrôler le présent…

 

Puis, conclusion personnelle : j'en profiterais pour ma part pour rappeler la confiscation et la création de toute pièce d'une commémoration de Jeanne d'Arc par le FN, ainsi que la tentative de créer une commémoration du baptême de Clovis, destinée à fonder la France comme pays catholique.

 

Petit bilan d'étape : Je n'ai rien inventé, rien commenté ; je n'ai fait que relever ce qui était contenu dans les documents et le mettre en ordre pour faire sentir plus clairement l'intérêt de ce dossier.

 

Arrivé là, il n'y a plus qu'à rédiger tout cela, sans titres ni intertitres, en rédigeant même les références aux documents. Et cela ne pose aucun problème, car je n'ai rien à inventer, mais simplement à exposer brièvement les idées collectées et ordonnées par mes soins.

 

La  dernière opération consistera à rédiger l'introduction : je sais en effet maintenant nettement ce que je fais, où je vais, et je connais la conclusion du devoir. Cette introduction, il faut la soigner : elle mérite un travail au brouillon, parce que c'est elle que le lecteur va lire en premier, et qu'il va déjà se faire une idée de mon sens de la synthèse en la lisant. Autant faire qu'elle soit concentrée, claire, indiquant nettement, dès le début, que je sais où je vais !