Texte 1 : Mathématiques

 

Quarante enfants dans une salle,

Un tableau noir et son triangle,

Un grand cercle hésitant et sourd

Son centre bat comme un tambour.

 

Des lettres sans mots ni patrie

Dans une attente endolorie.

 

Le parapet dur d'un trapèze,

Une voix s'élève et s'apaise

Et le problème furieux

Se tortille et se mord la queue.

 

La mâchoire d'un triangle s'ouvre

Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?

 

Et tous les chiffres de la terre,

Tous ces insectes qui défont

Et qui refont leur fourmilière

Sous les yeux fixes des garçons.

 

Jules Supervielle, Matins du monde, Dans Gravitations

 

Texte 2 : L'école

 

L'école était au bord du monde,

L'école était au bord du temps.

Au-dedans, c'était plein de rondes,

Au-dehors, plein de pigeons blancs.

 

On racontait des histoires

Si merveilleuses qu'aujourd'hui,

Dès que je commence à y croire,

Je ne sais plus bien où j'en suis.

 

Des fleurs y grimpaient aux fenêtres

Comme on n'en trouve nulle part,

Et, dans la cour gonflée de hêtres,

II pleuvait de l'or en miroirs.

 

Sur les tableaux d'un noir profond,

Voguaient de grandes majuscules

Où, de l'aube au soir, nous glissions

Vers de nouvelles péninsules.

 

L'école était au bord du monde,

L'école était au bord du temps.

Ah! que ne suis-je encore dedans

Pour voir, au dehors, les colombes !

 

Maurice Carême, Prince en poésie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Texte 3 : Page d'écriture

 

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize...

Répétez! dit le maître

Deux et deux quatre

quatre et quatre huit

huit et huit font seize.

Mais voilà l'oiseau-lyre

qui passe dans le ciel

l'enfant le voit

l'enfant l'entend l'enfant l'appelle:

Sauve-moi

joue avec moi

oiseau !

Alors l'oiseau descend

et joue avec l'enfant

Deux et deux quatre...

Répétez! dit le maître

et l'enfant joue

l'oiseau joue avec lui...

Quatre et quatre huit

huit et huit font seize

et seize et seize qu'est-ce qu'ils font ?

lis ne font rien seize et seize

et surtout pas trente deux

de toute façon

et ils s'en vont.

Et l'enfant a caché l'oiseau

dans son pupitre

et tous les enfants

entendent sa chanson

et tous les enfants

entendent la musique

et huit et huit à leur tour s'en vont

et quatre et quatre et deux et deux

à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux

un à un s'en vont également.

Et l'oiseau-lyre joue

et l'enfant chante

et le professeur crie:

Quand vous aurez fini de faire le pitre !

Mais tous les autres enfants

écoutent la musique

et les murs de la classe

s'écroulent tranquillement.

Et les vitres redeviennent sable

l'encre redevient eau

les pupitres redeviennent arbres

la craie redevient falaise

le porte-plume redevient oiseau

 

Jacques Prévert, Paroles

 

Texte 4 : L'écolier

 

J'écrirai le jeudi j'écrirai le dimanche

Quand je n'irai pas à l'école

J'écrirai des nouvelles j'écrirai des romans

Et même des paraboles

Je parlerai de mon village je parlerai de mes parents

De mes aïeux de mes aïeules

Je décrirai les prés je décrirai les champs

Les broutilles et les bestioles

Puis je voyagerai j'irai jusqu'en Iran

Au Tibet ou bien au Népal

Et ce qui est beaucoup plus intéressant

Du côté de Sirius ou d'Algol

Où tout me paraîtra tellement étonnant

Que revenu dans mon école

Je mettrai l'orthographe mélancoliquement.

 

Raymond Queneau, Battre la campagne