Les Animaux malades de la Peste

Jean de LA FONTAINE (1621-1695), Livre VII, 1

Pistes de travail proposées par Eddie Saintot

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

Mal : répétition en début de vers ou anaphore, dramatise ici la situation

Inventa pour punir les crimes de la terre,

La Peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom)

Peste : le terme-clef est rejeté au troisième vers, par superstition, il y a encore des mots qui font peur. Le rejet en fin de vers souligne l’état d’urgence provoqué par l’épidémie

Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

L'Achéron était le fleuve des Enfers dans la mythologie grecque : par métonymie, le passeur s’enrichit car chaque âme devait payer son obole.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :

On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie ;

La répétition de l'adjectif indéfini dans une sorte de chiasme montre que toutes les classes sociales sont frappées.

Nul mets n'excitait leur envie ;

Ni Loups ni Renards n'épiaient

La douce et l'innocente proie.

L'accumulation des termes négatifs montre les conséquences sociales, morales, catastrophiques de l’épidémie. Il n’y a plus de relations sociales.

Les Tourterelles se fuyaient :

Symbole de l’amour et de la fidélité, a fortiori les autres animaux seront pires encore !

Plus d'amour, partant plus de joie.

Partant = donc 1) pour obtenir un octosyllabe 2) pour insister avec les labiales (p)

Le Lion tint conseil, et dit : « Mes chers amis,

Je crois que le Ciel a permis

Un Roi n’a que des « sujets », pas d’amis. Le ton est hypocrite, le roi reste maître en son Conseil.

Pour nos péchés cette infortune ;

Que le plus coupable de nous

Au sens actuel de catastrophe. La fortune était le destin, bon ou mauvais. « Faire contre mauvaise fortune, bon cœur », faire preuve de courage dans l’adversité.

Se sacrifie aux traits du céleste courroux,

Peut-être il obtiendra la guérison commune.

Courroux = colère divine. Traits = flèches envoyées par les Dieux de l’Olympe. (cf. Artémis/Diane…Zeus…)

L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents

Événement imprévisible = accident

On fait de pareils dévouements :

Se sacrifier, donner sa vie.

Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence

L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,

« Goinfre », gourmandise excessive. Louis XIV avait un appétit de Lion.

J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? Nulle offense :

Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le Berger.

Le Berger représenterait Fouquet, ami de La Fontaine, arrêté par le Roi. Fouquet était surintendant des Finances : « il tondait la laine sur le dos des moutons (les contribuables) ». Le rejet donne un ton inquiétant.

Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense

Ton hypocrite ou ironique, tous les courtisans comprennent qu’il n’en est pas question.

Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :

Car on doit souhaiter selon toute justice

Que le plus coupable périsse. »

Les gutturales et les labiales en font une sorte de verdict sans jugement préalable.

- Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon Roi ;

Vos scrupules font voir trop de délicatesse ;

Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce,

Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur

Le Renard ne s’accuse de rien, il excuse le Roi en dévalorisant les moutons. Tous ceux qui n’étaient pas nobles, d’épée ou de robe étaient des « canailles ».

En les croquant beaucoup d'honneur.

Et quant au Berger l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui sur les animaux

cf. Brassens, L’Auvergnat, Jacquou le croquant  un paysan, il croquait des « racines », des légumes. Les aristocrates mangeaient de la viande. Le Lion dévorait, le Renard modère son appétit. 

Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.

On n'osa trop approfondir

Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,

Les moins pardonnables offenses.

Un pouvoir imaginaire sur les animaux. Le pouvoir de l’argent (Fouquet) cède le pas au pouvoir aristocratique, le vrai.

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,

Un mâtin était un chien de garde ou de guerre type molosse.

Au dire de chacun, étaient de petits saints.

Cf. Sainte Nitouche pour les filles. « On lui donnerait le bon Dieu sans confession. »

L'Âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance

La Fontaine utilise des assonances en i et an pour imiter le discours de l’Âne et le rendre ridicule aux yeux des puissants.

 

 

 

 

Net = franchement, l’Âne est le seul à le faire.

Qu'en un pré de Moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et je pense

Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.

A ces mots on cria haro sur le baudet.

Terme de chasse : la mise à mort commence.

Un Loup quelque peu clerc prouva par sa harangue

Clerc = employé du clergé voire prêtre (subsiste dans : clerc de notaire)     Harangue = Le discours du Loup

Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Au sens fort : Dieu décrète que le mal est en l’Âne. C’est une accusation de sorcellerie …

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.

La pelade et la gale : maladies de peau dues à une mauvaise hygiène.

Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable !

Rien que la mort n'était capable

Peccadille = petite faute. Le rapprochement des sonorités souligne la disproportion de la peine à l’acte.

D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.

La Fontaine escamote la pendaison. Ce raccourci rend le sort de l’âne encore plus injuste à cause de cette rapidité.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Morale courte mais accentuée par le parallélisme

 

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