Chapitre 1

L'âge industriel

 

I La première révolution industrielle

Quelques définitions :

- La houille est le charbon de terre, plus ou moins riche en carbone ( jusqu'à 98 % pour l'anthracite ). La combustion de la houille donne du goudron, de l'ammoniac ainsi que le coke qui entre dans la fabrication de la fonte. A noter qu'on parle de "houille blanche" au sujet de l'énergie hydro-électrique.

- La fonte est un alliage de fer et de carbone, dont la teneur en carbone est comprise entre 2,5 et 6 %

- L'acier est un alliage de fer et de carbone contenant moins de 2,5 % de carbone. Autrement dit, il s'agit de fonte affinée. Cette transformation s'opère en diminuant la teneur en oxyde de la fonte ( Convertisseur Thomas : on souffle de l'oxygène pour arriver à de très hautes températures ou du gaz naturel extérieur dans le cas des fours Martin)

 

1° Les grands secteurs

a- L'industrie textile

C'est la production d'un des biens de consommation de base, la cotonnade, qui a lancé la première révolution industrielle.

 Doc. 1 : Production de filés de coton ( 1830 - 1870 ), valeur en milliers de £
Années
Grande Bretagne
Etats-Unis
France
Allemagne
1830
250
77
68
16
1840
454
135
116
26
1850
588
288
140
46
1860
1140
390
226
140
1870
1101
400
220
147
1) Construisez la représentation graphique de ce tableau numérique

2) Justifiez le choix de la représentation graphique que vous avez adopté.

b- La production de charbon

 Doc. 2 : Consommation et production de houille en Europe

Années
Consommation française
Production française
Production anglaise
Production allemande
1880
28
19
149
47
1913
64
42
290
190
1) Pourquoi la production de charbon commande t-elle les possibilités d'industrialisation ?

2) Comparez l'évolution de la production et de la consommation française entre 1880 et 1913. Quelles conséquences peut-on tirer quant aux possibilités d'industrialisation de la France ?

c- La production d'acier

Doc.3 Les usines Krupp à Essen en 1865

 

Quels sont les caractères originaux de ce paysage industriel ?

Doc. 4

Nous sommes en face du Creusot, le plus grande usine de France et peut être d'Europe. Il y a ici quantité de machines et de fourneaux, et plus de seize mille ouvriers qui travaillent nuit et jour pour donner à la France une partie du fer qu'elle emploie. Il y a trois grandes usines distinctes dans l'établissement du Creusot : fonderie, ateliers de construction et mines, chacune des parties de l'usine est reliée à l'autre par des chemins de fer ; c'est un va-et-vient perpétuel. Voici une des merveilles de l'industrie. C'est ce qu'on appelle le marteau pilon à vapeur, qui a été fabriqué et employé pour la première fois dans l'usine du Creusot où nous sommes. Ce marteau pèse de 3000 à 5000 kilogrammes : tu te figures la violence des coups qu'il peut donner.

 G. Bruno, Le tour de la France par deux enfants, Belin, 1877

 

1) Quelle impression le texte veut-il dégager ?

2) Quel enchaînement existe-il entre les différentes parties de l'usine du Creusot ?

3) Quelle est la source d'énergie utilisée ?

Le sigle de la famille Schneider du Creusot qui rappelle un blason.

Selon vous pourquoi ?

Le marteau-pilon du Creusot présenté au public lors de l'exposition de 1878

  2° Les implications de la première révolution industrielle

 a- Le developpement du réseau ferré

 Doc.5

Le passage trop rapide d'un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel. Le mouvement de trépidation suscitera des maladies nerveuses, tandis que la rapide succession des images entraînera des inflammation de la rétine. La poussière et la fumée occasionneront des bronchites. Enfin l'anxiété des périls tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le début d'affections cérébrales. Pour une femme enceinte, tout voyage en chemin de fer entraînera une fausse couche.

Des membres de l'Académie de médecine de Lyon, 1835

 

De quoi ce texte témoigne t-il ?

Doc.6 : Les voies ferrées en France

 

 

b- Un espace privilégié : la ville

Doc. 7 Birmingham vue par un voyageur au début du XIXe siècle

 "Birmingham est une des villes les plus curieuses de l'Angleterre par l'activité de ses manufactures et de son commerce. (...)

Là, tous les moyens de l'industrie soutenus par le génie de l'invention et par des connaissances mécaniques dans tous les genres se sont tournés du côté des arts et semblent s'être donné la main pour concourir respectivement à la perfection des uns et des autres.

Je sais que quelques voyageurs qui ne se sont pas donné la peine de réfléchir sur l'importance et l'avantage de ces sortes de manufactures dans un pays tel que l'Angleterre ont désapprouvé la plupart de ces établissements d'industrie et d'utilité (...). C'est qu'ils n'avaient pas daigné porter leurs regards sur ces vastes ateliers où l'on fabrique des pompes à vapeur, ces machines étonnantes dont le perfectionnement fait tant d'honneur au talent et aux connaissances de M. Watt, ni sur les lamineries de cuivre sans cesse en activité pour le doublage des vaisseaux, ni sur celles de tôles et de fer qui rendent la France tributaire de l'Angleterre, ni sur cette partie si étendue, si variée de quincaillerie qui occupe avec tant d'avantages plus de trente mille bras et oblige l'Europe entière et une partie du Nouveau Monde à s'approvisionner ici, parce que tout est fait avec plus de perfection, avec plus d'économie et en plus grande abondance que partout ailleurs. Encore ici je le dis avec complaisance et il faut le dire aux Français jusqu'à satiété, c'est l'abondance de charbon de terre qui a fait ce nouveau miracle et a produit au milieu d'un désert aride une ville de quarante mille habitants qui vivent au sein de l'aisance et de toutes les commodités de la vie."

 

1) Relevez dans le texte la phrase qui témoigne du rapport de force commercial entre la France et la Grande Bretagne

2) Qu'est-ce que le " Nouveau Monde " ?

3)Que produit la ville de Birmingham ?

4)Qu'est-ce qui selon l'auteur est à l'origine de la prospérité de la ville ?

Doc.8

"Manchester, 2 juillet 1835.

Caractère particulier de Manchester.

La grande ville manufacturière des tissus, fils, cotons ... comme Birmingham l'est des ouvrages de fer, de cuivre et d'acier.

Circonstance favorable: à dix lieues [50 Km] du plus grand port de l'Angleterre [Liverpool sur la côte ouest face à l'Irlande], lequel est le port de l'Europe le mieux placé pour recevoir sûrement et en peu de temps les matières premières d'Amérique. A côté, les plus grandes mines de charbon de terre pour faire marcher à bas prix ses machines. A 25 lieues [125 Km], l'endroit du monde où on fabrique le mieux ces machines [Birmingham]. Trois canaux et un chemin de fer pour transporter rapidement dans toute l'Angleterre et sur tous les points du globe ses produits.

A la tête des manufactures, la science, l'industrie, l'amour du gain, le capital anglais. Parmi les ouvriers, des hommes qui arrivent d'un pays [l'Irlande] où les besoins de l'homme se réduisent presque à ceux du sauvage, et qui travaillent à très bas prix; qui, le pouvant, forcent les ouvriers anglais qui veulent établir une concurrence, à faire à peu près comme eux. Ainsi, réunion des avantages d'un peuple pauvre et d'un peuple riche, d'un peuple éclairé et d'un peuple ignorant, de la civilisation et de la barbarie.

Comment s'étonner que Manchester qui a déjà 300.000 âmes s'accroisse sans cesse avec une rapidité prodigieuse ?"(...)

"C'est au milieu de ce cloaque infect que le plus grand fleuve de l'industrie humaine prend sa source et va féconder l'univers. De cet égout immonde, l'or pur s'écoule. C'est là que l'esprit humain se perfectionne et s'abrutit; que la civilisation produit ses merveilles et que l'homme civilisé redevient presque sauvage."

 Extraits de Alexis de Tocqueville, Voyages en Angleterre, Irlande, Suisse et Algérie , oeuvres complètes t. V, Gallimard, Paris 1958, p. 78 et 82

 

 

1) Relevez dans le texte les conditions favorables qui expliquent l'essor de Manchester

2) Comment la ville est-elle décrite par Tocqueville ?

 

Conclusion : Un système technique est un ensemble d'éléments interdépendants en usage à un moment donné : matériaux, énergie, force motrice et innovations. Construisez le réseau flêché comprenant les éléments qui caractérisent la première révolution industrielle.

 

II La deuxième révolution industrielle

1° L'intégration science / industrie

a- Une période d'innovations

1859

Puit de pétrole (Drake)

1892/97

Moteur ( Diesel )

1863

Soude ( Shray )

1895

Cinématographe ( Lumière )

1867

Dynamite ( Nobel )

1899

Aspirine ( Bayer )

1868

Celluloïd ( Hyalt)

1899

TSF ( Branly et Marconi )

1869

Dynamo ( Gramme )

1903

Vol aérien ( Wright )

1873

"Houille Blanche" ( Berges)

1907

Bakelite ( Baekeland )

1876

Téléphone ( Bell )

1912

Synthèse du nitrate

1877

Microphone ( Edison )

1927

Cinéma parlant ( Wraner Bros )

1877

Beton armé ( Hennebique )

1934

Photographie couleur

1879

Lampe à filament ( Edison )

1937

Nylon

1882

Transport d'éléctricité HT

1938

Polystyrène

1884

Soie artificielle ( Chardonnet )

1938

Moteur à réaction

1885

Moteur à explosion ( Daimler)

 

 

1888

Pneumatique ( Dunlop )

 

 

1888

Pellicule photographique(Eastman )

 

 

1) Classez ces innovations en 3 ou 4 catégories

2) Etablissez les liaisons permettant d'autres innovations

b- L'intégration recherche / industrie

Doc. 8

La "Badische Anilin und Soda Fabrik" de Ludwigshafen recruta une équipe de 148 chimistes dont le travail principal consista à chercher les moyens d'obtenir les couleurs minérales à bon marché. Tout le monde connaît la garance ( plante tinctoriale ) avec laquelle on teint en rouge vif les pantalons de nos "lignards". En 1870, un chimiste de la "Badische" parvint à obtenir l'alizarine synthétique qui donnait exactement la même couleur ( que la garance ) ; mais ce produit valait 17 francs le kilo et ne pouvait être mis dans le commerce. Alors les autres chimistes de la maison se mirent au travail et, par une série de perfectionnements, arrivèrent après vingt ans d'efforts, à faire tomber le prix du kilo à 2 francs. Du coup, la garance fut remplacée par l'alizarine tirée de la houille.

 F. Delaisi, La vie ouvrière, 1912

 

1) Ce texte fait allusion à deux étapes de la recherche. Lesquelles ?

2) Ce texte montre le passage d'une matière à une autre. Comment qualifieriez-vous ces deux matières ?

2° La "fée électricité"

 

Doc. 9

Le moteur électrique individuel à chaque machine-outil est assurément la formule générale d'un très prochain avenir. En outre de leur encombrement et des dangers qu'elles présentaient, les transmissions de mouvement par poulies et courroies absorbaient toujours 20 à 30 % de la puissance motrice de l'atelier : ce chiffre pouvait s'élever à 60 %. La machine-outil commandée par sa dynamo dont le rendement est de 70 à 80 % et qui ne travaille que lorsque la machine-outil a besoin d'elle pour travailler, conduit nécessairement à des économies de force motrice et d'entretien considérable.

 M. de Nansouly, Le machinisme dans la vie quotidienne, 1909

 

Doc. 10

Présente à la première exposition internationale d'électricité à Paris en 1881, la Compagnie Edison vante les mérites de l'ampouke électrique auprès du journal L' illustration :

La lumière qu'elle produit est analogue comme intensité et comme couleur à celle d'un bec de gaz, mais avec une pureté et une fixité complète...Comme les lampes si simples du savant américain avc leur lumière dorée, agréables aux yeux, ne dégageant aucune émanation, aucune fumée... On médit (...) des lampes à huiles, fumeuses, capricieuses... On se rappelle aussi les commencements d'incendies, causés par une veilleuse ou une bougietrop approchée des rideaux... Citons aussi les plaintes exhalées par les ouvriers dont le gaz compromet la santé.

1) De toutes les applications de l'électricité, laquelle a le plus séduit le public, à la fin du XIXème siècle ? Pourquoi ?

2) Quels sont les atouts de l'électricité pour l'industrie ?

3° De nouvelles méthodes de travail : taylorisme et fordisme

a- Le taylorisme

Doc.11

Les américains et les anglais sont les meilleurs hommes de sport du monde ; si un ouvrier américain joue au base-ball ou un anglais au cricket, il emploie toutes ses facultés pour assurer la victoire à son camp et gagner le plus grand nombre possible de points. Ce sentiment universel est si fort, qu'un homme qui se ménage en pareille circonstance, est disqualifié et méprisé de tous ceux qui l'entourent.

Quand ce même ouvrier retourne à l'usine le lendemain, loin de s'efforcer de travailler de son mieux, il s'arrange le plus souvent, pour faire délibérément le moins de travail possible. Dans beaucoup de cas, ce travail ne représente que le tiers ou la moitié de la tâche d'une journée consciencieusement remplie ; car s'il s'efforçait d'abattre le plus d'ouvrage possible, cet ouvrier serait persécuté par ses camarades d'atelier, plus encore que s'il était ménage devant ses camarades de jeu. Cette flânerie, caractérisée par la limitation systématique de la production, est à peu près universelle dans les usines ; elle se remarque aussi dans les affaires et on peut assurer, sans crainte d'être contredit, qu'elle constitue le pire défaut de la classe ouvrière en Angleterre et en Amérique (... ).

La disparition de cette flânerie provoquerait un tel abaissement du prix de revient, que nos marchés intérieurs et extérieurs seraient considérablement élargis ; ainsi disparaîtrait une des causes fondamentales de nos difficultés sociales, le paupérisme et cette infortune serait soulagée d'une manière plus efficace et plus complète que par les remèdes appliqués jusqu'ici. On assurerait des salaires élevés, une tâche journalière plus courte et des conditions meilleures de travail et d'habitation. S'il est évident que la prospérité ne peut exister que comme un corollaire de l'effort conscient de chaque travailleur pour produire la tâche journalière la plus forte possible, comment se fait-il que la grande majorité des hommes fasse délibérément le contraire et qu'il soit impossible, en général, à un homme de bonne volonté, d'atteindre son rendement maximum

Il y a à cela trois causes principales que l'on peut résumer ainsi

1° L'erreur existant depuis un temps immémorial chez les ouvriers, que l'augmentation du rendement de chaque homme ou de chaque machine aurait pour conséquence de faire congédier un certain nombre d'ouvriers.

2° Les systèmes défectueux d'organisation qui sont communément employés et qui forcent, pour ainsi dire, chaque ouvrier de flâner, pour sauvegarder ses intérêts.

3° Les méthodes empiriques à peu près universellement employées, grâce auxquelles l'effort de l'ouvrier est mal utilisé.

(...) Pour faire exécuter le travail conformément à des lois scientifiques, la direction doit étudier et exécuter elle-même, beaucoup de tâches actuellement abandonnées à l'initiative de l'ouvrier.

Chacune des opérations faites à l'atelier, doit être précédée d'une ou plusieurs études préparatoires de la direction qui permettront à l'ouvrier de faire son travail, mieux et plus vite qu'auparavant. Il lui faudra recevoir chaque jour, de bonne grâce, les conseils et les instructions oe ses chefs, moyennant quoi il ne sera plus bousculé ni pressé par son contremaître ou laissé à sa propre inspiration.Cette coopération étroite, intime, personnelle, entre la direction et les ouvriers, est l'essence de l'organisation scientifique moderne.

Frederic Winslow TAYLOR, Principes d' organisation scientifique des usines, 1911

 

1) Qu' entend Taylor à travaers l' expression " flanerie ouvrière " ?

2) Quelles sont d' après lui les causes de cette " flanerie " ?

3) Quelle type de methode Taylor préconise t-il ?

4) Relevez dans le texte les caractéristiques de cette nouvelle organisation.

b- Le methode Ford

Doc.12

 

L'introduction du travail à la chaîne

Vers le 1° avril 191 3. nous tentâmes pour la première fois l'expérience du montage "à la chaîne". Nous essayâmes d'assembler le volant magnétique. Tous nos essais se font d'abord en petit. Nous bouleversons tout, s'il le faut, une fois que nous avons trouvé un meilleur système, mais nous ne prenons cette mesure radicale que lorsque nous nous sommes parfaitement convaincus de la supériorité de la nouvelle manière de procéder sur l'ancienne. Je crois que ce fut le premier convoyeur qu'on ait jamais installé. L'idée générale en fut empruntée au trolley des fabricants de conserve de Chimp. Jusqu'alors nous avions assemblé le volant magnétique selon la méthode ordinaire. Un ouvrier faisant toutes les opérations de ce montage pouvait assembler trente-cinq ou quarante appareils dans une journée de neuf heures, ce qui faisait environ vingt-cinq minutes par assemblage. Ce qu'il faisait seul fut alors réparti entre vingt neuf ouvriers, ce qui réduisit le montage à treize minutes dix secondes. Puis nous élevâmes la hauteur du convoyeur de huit pouces, (c'était en 1914) et réduisîmes le temps à sept minutes. De nouvelles expériences sur la vitesse du mouvement réduisirent le temps à cinq minutes. En résumé, voici le résultat : grâce à cette étude méthodique un seul homme est aujourd'hui en mesure de faire un peu plus de quatre fois l'ouvrage qu'il faisait il n'y a pas beaucoup d'années. Cet essai prouva l'efficacité de la méthode et aujourd'hui nous l'employons partout.

 Henry FORD, Ma vie et mon oeuvre, 1927 (pour la traduction française).

 

1) Comment Ford envisage t-il l'objet automobile ?

2) Recherchez dans les deux textes les innovations apportées par Henry Ford

3) Quel rapport existe t-il entre le Taylorisme et le Fordisme ?

III Le progrès est-il forcément lié à l'industrie ?

Doc.14 : Extrait de "Les étapes de la croissance économique", W. W. Rostow, Le Seuil, 1970

Schéma que l'on trouve ( encore ) dans les manuels scolaires, aujourd'hui dépassé. Cette représentation sous forme d'étapes successives et quasi-obligatoires donne la part belle au modèle de developpement anglais, qui sert ici d' idéal-type. Or ce schéma ne rend pas assez compte des trajectoires singulières et s'avère beaucoup trop déterministe. 

 

Doc.16 : Les typologies d'industrialisations, d'après F. Cochet, Les révolutions industrielles, Armand Colin, 1995

 

Schéma qui a le mérite de traduire la pluralité des trajectoires mais qui reste historiciste et ethnocentré : en quel honneur l'industrie serait-elle le seul et unique critère de progrès ?

Doc. 17 : Et si tout était relatif...

La civilisation occidentale s'est entièrement vouée, depuis deux ou trois siècles, à mettre à la disposition de l'homme des moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l'on adopte ce critère, on fera de la quantité d'énergie disponible par tête d'habitant l'expression du plus ou moins grand degré de developpement des sociétés humaines. La civilisation occidentale sous sa forme nord-américaine occupera la place de tête, les sociétés européenne, soviétique et japonaise venant ensuite, avec, à la traîne, la masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes...

Il y a treize siècles, l'Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de la vie humaine : technique, économique, sociale, spirituelle, que l'Occident ne devait retrouver que tout récemment. On sait quelle place prééminente cette vision prophétique a permis aux arabes d'occuper dans la vie intellectuelle du moyen âge. L'Occident, maître des machines, témoigne de connaissances très élémentaires sur l'utilisation et les ressources de cette suprême machine qu'est le corps humain. Dans ce domaine, au contraire, comme dans celui connexe des rapports entre le physique et le moral, l'Orient et l'Extrême-Orient possèdent sur lui une avance de plusieurs millénaires ; ils ont produit ces vastes sommes théoriques et pratiques que sont le yoga de l'Inde, les techniques du soufflle chinoises ou la gymnastique viscérale des anciens Maori. L'agriculture sans terre, depuis peu à l'ordre du jour, a été pratiquée pendant plusieurs siècles par certains peuples polynésiens qui eussent pu aussi enseigner au monde l'art de la navigation, et qui l'ont profondément bouleversé au XVIIIème siècle, en lui révélant un type de vie sociale et morale plus libre et plus généreux que tout ce que l'on soupçonnait.

Claude Levi-Strauss, Race et Histoire, 1953-1982, Plon

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