BAC PRO SEPT 2000

 


TEXTE

En 1851, la Seconde République est renversée par Louis Napoléon Bonaparte. Dans le roman La Fortune des Rougon, Émile Zola évoque la mobilisation et l'insurrection des partisans de la république contre ce coup d'état.

La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu'aux pierres du chemin.

Émile ZOLA, La Fortune des Rougon (1871)

 

DOCUMENT 1

 

LA MARSEILLAISE (premier couplet et refrain)

 

Allons enfants de la Patrie,

Le jour de gloire est arrivé.

Contre nous de la tyrannie

L'étendard sanglant est levé.

Entendez-vous dans les campagnes

Mugir ces féroces soldats ?

Ils viennent jusque dans vos bras

Egorger vos fils, vos compagnes.

 

Aux armes, citoyens

Formez vos bataillons

Marchons, marchons,

Qu'un sang impur

Abreuve nos sillons

 

Paroles et Musique de ROUGET DE LISLE (1792)

 

DOCUMENT 2

 

HYMNE [imn] n. -XIVe ; ymne déb. XII'; lat. hymnus, gr. Humnos. 1? N.m. Chant, poème à la gloire des dieux, des héros. Les hymnes orphiques. Hymnes homériques, attribués à Homère. 2 ? N.m. ou f. (Dans la tradition chrétienne) Chant à la louange de Dieu. cantique, psaume. Chanter un, une hymne. " Toutes les hymnes de cet admirable office " (Mauriac). 3 ? N. m. Chant, poème lyrique exprimant la joie, l'enthousiasme, célébrant une personne, une chose. Hymne à la nature, à l'amour. " L'Hymne à la joie ", de la IX' Symphonie de Beethoven. Un hymne de reconnaissance. ? SPÉCIALT Chant solennel en l'honneur de la patrie, de ses défenseurs. L'hymne national français est " la Marseillaise".

Dictionnaire ROBERT


1- COMPÉTENCES DE LECTURE ( 8 points)

 

1 - En vous appuyant sur les relevés lexicaux de votre choix, vous direz comment "La Marseillaise" est évoquée dans le texte d'Émile Zola et vous commenterez la place qu'y occupe cette évocation. (3 points)

 

2 - Le dictionnaire Robert propose plusieurs définitions du mot "hymne". Parmi ces différentes définitions, relevez trois termes ou expressions qui, selon vous, peuvent être associés au texte d'Émile Zola ainsi qu'au document 1. Justifiez votre choix. (5 points)

 

II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (12 points)

 

Edito par Jean Belot

"Ils veulent changer ma chanson"

Faut-il changer les paroles de " La Marseillaise " ? Oui, et vite, demandent l'abbé Pierre, Danielle Mitterrand, Michel Platini, Bernard Stasi et quelques autres, estimant que l'hymne national attente aux droits de 1 'homme, à la fraternité sportive, au respect de nos voisins, bref à 1 'air du temps.

Certes, l'époque est lointaine (révolue ?) où de "féroces soldats " venaient " égorger nos fils, nos compagnes", aujourd'hui l'atome est beaucoup plus expéditif et la Communauté européenne est le plus sûr moyen d'en prévenir un mauvais usage. Mais il y aurait quelque ridicule à vouloir gommer, en prévision d'un aléatoire consensus européen, des couplets révolutionnaires qui sont le reflet d'un moment de notre Histoire. Et quelque grotesque à changer les paroles en gardant la musique.

Et puis, braillée à 1 'occasion d'un défilé, d'un meeting ou d'un match du Tournoi des cinq nations, par des Français qui généralement ont retenu l'air et oublié la chanson, " La Marseillaise " c'est notre ciment, notre carte d'identité. Elle est en 1992 un des rares signes de ralliement quand les symboles et les points de repères semblent s'effacer à tour de rôle.

Extrait de l'éditorial de Télérama N° 2200, 11 mars 1992.

 

Vous écrivez, en une quarantaine de lignes, au courrier des lecteurs de Télérama pour exposer votre point de vue personnel dans le débat ouvert par cette revue, à la suite de l'article de Jean Belot.

N.B. afin de respecter les règles de confidentialité, votre texte ne révélera ni votre identité,

ni le lieu où il est écrit.

 


ÉLÉMENTS DE CORRIGE

 

1- En vous appuyant sur les relevés lexicaux de votre choix, vous direz comment "la Marseillaise " est évoquée dans le texte d'Emile Zola et vous commenterez la place qu'y occupe cette évocation. (3 points)

L'évocation de "la Marseillaise ", thème central de cette page, lui donne sa force et son

unité.

Le lexique, remarquable-par sa richesse et sa densité, peut se regrouper essentiellement autour du thème de la musique: " chants ", "voix", "éclat assourdissant", "trompettes ", "vibrante ", "cuivre ", "tambour ", "baguettes ", "retentit", répétant ", "échos ", <mates ardentes ", "chanta ", "acclamant ", "refrain ", "plus haute ". L'observation de ce réseau considérablement développé permet de remarquer une amplification du volume sonore qui va crescendo au fil de l'évocation ; on remarque en outre que certains mots sont parfois attribués à d'autres qui, d'ordinaire, ne les appellent pas : ainsi dans "la colère la plus haute " l'adjectif transforme la colère en note de musique.

Surtout, progressivement, c'est la. nature qui produit le char semblant relayer les hommes elle commence par le "répéter " puis chante- à l'unisson ("ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ") et trouve elle-même une voix ("acclamant les insurgés "). La nature reprend amplifie, s'approprie en quelque sorte le chant des hommes. Ainsi à "la campagne endormie [qui s'éveille] en sursaut " fait écho à la fin de l'extrait "la campagne(...) criait vengeance et liberté " : par le biais du chant les choses s'animent d'une vie humaine.

A l'évocation sonore qui occupé graduellement tout l'espace textuel s'ajoute une transmutation des éléments. La réalité est transformée par la vision de l'auteur. L'ampleur donnée à ce chant des hommes qu'est "la Marseillaise-"en fait un "cirant du monde" où humanité et nature sont en communion. L'unité profonde entre les hommes et la nature prend le relais de la conviction des hommes. Le spectacle est total et le souffle épique qui caractérise ce passage transforme l'évocation de "la Marseillaise " en marche en avant de la liberté. Cette nuit transfigurée prend ainsi un aspect messianique.

[Remarque : d'autres relevés lexicaux- la foule, la nature, les sons... - sont évidemment acceptables.]

 

2- Le dictionnaire Robert propose plusieurs définitions du mot "hymne ". Parmi ces définitions, relevez trois termes- ou expressions qui, selon vous, peuvent être associés au texte d'Émile Zola ainsi qu'au document 1. Justifiez votre choix. (5 points)

Divers termes et expressions figurant dans les définitions du mot "hymne " peuvent légitimement être associées au texte d'Émile Zola et au document 1.

Toutes les définitions du mot "hymne " s'appuient sur le terme "chant ". Ce mot s'applique à "La Marseillaise " qui a toutes les caractéristiques d'un chant: couplets et refrain vers et rimes, musicalité due au rythme, aux sonorités, à la ponctuation. Le texte d'Émile Zola évoque, à l'aide d'un lexique foisonnant, le chant "La Marseillaise " ; plusieurs mots renvoient explicitement au chant: " les chants ", <mates ardentes ", "chant national ", chanta ", "refrain ", "plus haute "...

Dans la deuxième acception, l'expression "poème lyrique" peut être associée aux deux textes : " La Marseillaise " met en avant l'expression de sentiments ou d'attitudes comme la révolte, la colère, l'enthousiasme pour mieux convaincre et entraîner (impératifs à la première et deuxième personne par exemple). Dans la page d'Émile Zola "La Marseillaise"- est évoquée- sur un ton lyrique qui vise à toucher le lecteur et à susciter son adhésion : jeu entre les collectifs singuliers ("bande " puis "peuple innombrable", plus élogieux) et les pluriels ("quelques milliers " "nouvelles masses") ; dynamisme suggéré (verbes de mouvement: " descendaient ", "roulait ", "se montraient ", "jetaient ", "sortir " .. . ) ; métaphores (la bande devient "des flats vivants ", la route devient "torrent ", "la foule " devient "tempête ") ; inflation du vocabulaire: " superbe ", "irrésistible ", "grandiose ", "ne- pas s'épuiser "; "de plus en plus ", (tempête ", "assourdissant, "géantes " monstrueuse ", "tous les coins " "tous ses échos "... ; nombreuses allitérations en [r], en [z], en [t] ainsi qu'assonances en [i].

La définition spécifique "chant solennel en l'honneur de la patrie, de ses défenseurs "renvoie directement et, explicitement au document 2 : " enfants de la Patrie ", "aux armes, citoyens! ". Le texte de Zola fait écho notamment à travers le lexique guerrier: "bataillons- " (le même mot est présent significativement dans l'hymne), "insurgés ", "petite armée ".De même, l'évocation de la foule en marche peut être mise en relation avec le "Marchons, marchons " du refrain.

La fiction romanesque apparaît ainsi comme la mise en scène lyrique et épique de l'hymne national, invocation à la "vengeance" et à la "liberté ". En d'autres termes, et de manière saisissante, la foule "fait" ce que le texte "dit " ; dans cette marche insurrectionnelle, paroles et actes coïncident.

[Remarque : d'autres mots ou expressions peuvent- être retenus ("gloire " "joie " "enthousiasme " "solennelle " ...) : la mise en relation et la justification argumentée appuyée sur les citations des textes sont essentielles.]

 

II - Compétences d'écriture (12 points)

Quelques critères d'évaluation

• respect de la longueur ("une quarantaine de lignes " )

• qualité de l'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)

• graphie et présentation

• prise en compte de la situation de communication (l'écrit attendu à la forme d'une lettre ; destinataire identifié - Jean Belot - ou bien destinataire impersonnel mais inscrit dans le lectorat supposé: hebdomadaire de télévision)

• respect des marques du discours (emploi de la première personne, temps des verbes....)

• caractéristiques du texte argumentatif (structure et organisation du texte, présence d'arguments, d'exemples, d'articulations, cohérence du texte en particulier de l'énonciation)

• insertion dans un débat (bonne compréhension de la thèse soutenue par l'éditorialiste et positionnement par rapport à cette thèse : reprise partielle ou totale des arguments développés, extension éventuelle de cette argumentation par la production de nouveaux arguments ; ou bien réfutation de la thèse soutenue et exposé argumenté de la thèse opposée)

• on valorisera la pertinence et l'originalité de l'argumentation

• on valorisera en outre les productions .qui traduisent un souci d'efficacité du message, au ton convaincant

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