S'entraîner à l'examen de B.E.P : Le texte narratif
Aix Marseille 1999 - CAP - BEP INDUSTRIEL


CHAPITRE PREMIER

Il fait nuit et je viens de me réveiller en sursaut quelque part dans la maison. Le grenier est en flammes. La fumée m'asphyxie. J'ai dix ans dans moins d'un mois et je vais déjà mourir. Ça commence bien, la vie !

C'est ma faute. J'ai dû faire "la" très grosse bêtise. Chez nous, chaque fois que quelqu'un fait "la" très grosse bêtise, la maison brûle. Il n'y a pas que dans les rédactions où il faut éviter les répétitions. Pour les incendies aussi.

La première très grosse, c'est mon frère Roland qui l'a faite. On habitait encore à la Grand-Rue, pas très loin d'ici. Il a mis le feu à de vieux chiffons au grenier, pour ne pas retourner au Centre d'apprentissage. Les machines de l'atelier lui faisaient peur.

- Tais-toi ! Si le monsieur de l'assurance t'écoutait, ton frère irait en prison.

J'entends la voix de la m'am au fond de mon oreille. La droite, celle des histoires pour s'endormir. La m'am est toujours à mes côtés. Elle flotte dans les airs, ne dort jamais, vole, apparait, disparaît, se glisse sous mes paupières, dans la poche de mon short, ou dans mon cartable. J'ai de la chance, j'ai une maman Peter Pan.

- C'est un court-circuit. Tu te souviendras si le monsieur de l'assurance te demande : un court-circuit ! Il est joli ce mot. Tu pourrais l'écrire sur ton cahier de collection. (...)

J'ai une manie, je collectionne. Les mots compliqués, les énumérations, les titres étranges des journaux, les étiquettes de camembert et les soldats Mokarex des paquets de café. La famille, elle, collectionnerait plutôt les ennuis.

La maison de la Grand-Rue a brûlé en pleine nuit de l'hiver 1954. Il gèle à moins quinze. Sur le trottoir, la mère vérifie pour savoir si elle a son compte d'enfants... Dix, onze, et douze ! C'est bon, on peut y aller. Cette fois-là, ce qu'on a pu sauver tient dans la charette à bras.

- On a eu de la chance, comme on n'avait rien, on n'a pas perdu grand-chose. La m'am rigole quand elle raconte comme si rien n'était jamais grave. Pourtant, pas un hôtel, pas un abri pour nous accueillir.

Le père avait écouté l'appel de l'abbé Pierre à la radio (1). On y parlait de charité, de justice et d'amour, mais la tribu gelait sous le bec de gaz du rond-point. Alors, charité bien ordonnée... Le p'pa a donné un grand coup d'épaule dans la porte de la première maison libre. Comme au maquis ! (2) Sauf qu'il n'avait pas son joli 7,65 tout chromé. Cette nuit-là, j'ai appris le mot "réquisition".

Douze enfants ! Mais monsieur, ça ne tiendra jamais là-dedans !

Celui qui parle, c'est le commissaire de police réveillé en pleine nuit. "Ça ", c'est nous et, "là-dedans", c'est la maison que le p'pa a trouvée. D'accord, elle est petite et parait recroquevillée par le froid, mais elle est à nous. Il faudra attendre qu'il fasse beau pour avoir une idée de sa vraie taille. Le soleil, ça grandit.

  • - C'est l'affaire d'une petite semaine, monsieur le commissaire. Le temps d'être relogés.
  • - C'est vous qui voyez, monsieur, mais ça ne tiendra jamais.


    Le commissaire est retourné au chaud à l'arrière de sa 203 pour rédiger le procès-verbal. Du haut du perron, mon père lui décrit ce qu'il trouve à l'intérieur de la maison, et lui, traduit ça dans sa langue.


    - Une demeure bourgeoise sise au 93 de l'avenue Meissonnier à Villemomble, département de la Seine, sur jardin clos arboré et comportant : pour principal, une pièce à fonction de salle à manger, deux chambres, une cuisine, des waterclosets servis par un tout-à-l'égout, et agrémentée, en dépendance, d'une remise et d'un auvent.

    Il n'y a pas que le soleil qui agrandit les maisons, une jolie langue aussi. Malgré les efforts du commissaire, la nôtre est minuscule, mais il y a des lilas, un rosier et un cerisier dans la cour.

    - Il n'aura pas le temps de fleurir qu'on sera déjà relogés.

  • Ça fait maintenant quatre ans que notre arbre fleurit et donne d'étranges cerises d'une espèce inconnue, tellement aigres que la m'am ne peut même pas en faire des clafoutis et doit emprunter des griottes à une voisine. Quatre ans également que le proprio essaie de nous faire expulser à la fin de l'hiver. Le propriétaire est aussi une espèce qui fleurit au printemps.

  • Daniel Picouly, Le champ de personne, (Éditions Flammarion, 1995, pages 9 à 11).

  •  

    (1) Pendant l'hiver l954,1'abbé Pierre a lancé un appet à la radio pour dénoncer le scandale des sans-logis.

    (2) Le père du narrateur a été résistant pendant la Seconde Guerre mondiale.

     

     
  • -----------------------------------------------------------------------------------


    QUESTIONS

     

    1 - Compétences de lecture /10 points

    1. Énumérez, dans l'ordre chronologique des faits, les principaux événements de l'histoire

    familiale du narrateur. /3


    2. Ces événements sont dramatiques. /3

    Le ton employé pour les raconter l' est il également ?

    Vous rédigerez votre réponse et vous la justifierez en relevant au moins 3 éléments du texte.

    3. Le narrateur affirme : " J'ai dix ans ". Vous rechercherez, dans le texte, 4 indices montrant au lecteur qu'il s'agit bien d'un enfant. /4


    II - Compétences d'écriture /10 points


    Quelques jours après l'incendie, un journal populaire fait paraître un article relatant les événements

    vécus par la famille du narrateur en 1954.


    Rédigez cet article en une vingtaine de lignes et donnez-lui un titre. Vous tiendrez compte du

    caractère dramatique de la situation.

    Retour