Vercors, Ce jour-là (1943)

Proposition de séquence

 

Séance 1 - Appréhender la nouvelle: résumé, réécriture, composition

 

  1. Le Résumé :

    Il convient, d'emblée, de saisir la nouvelle dans sa globalité. La vérification de la maîtrise du contenu narratif peut s'opérer au moyen d'un exercice très simple ("Résumez en un paragraphe le contenu de cette nouvelle "). L'exercice d'écriture, présenté et cadré ainsi, na rien à voir avec on ne sait quelle " technique d'expression". Il s'agit bien là de demander aux élèves d'exposer une authentique lecture du texte de Vercors: l'énoncé qu'ils rédigent atteste de leur perception (ou de leur absence de perception) d'enjeux narratifs essentiels.

     

    Þ Bilan 1 : La spécificité de la rhétorique narrative : le recours à l'ellipse (la mère et le père disparaissent dans des " blancs " du récit) : et une information qui, dans la nouvelle, n'est donnée que par bribes, de façon codée, fortement modalisée par un point de vue " enfantin " qui cohabite avec un point de vue " adulte ".

     

  2. La composition, la construction du schéma narratif :
    1.  
    2. La situation initiale : La promenade avec le père.
    3. L’élément perturbateur : " Papa ne disait rien. D’habitude… ", le silence devient écart par rapport à tous les autres jours. Cette rupture dans l’itératif est donc un élément perturbateur, du reste interprété comme tel par l’enfant.
    4. Les actions : Les différentes péripéties de la promenade dans lesquelles le narrateur suggère par petites touches, la séparation prochaine du père et de l’enfant.
    5. L’élément équilibrant : Par la disparition du pot de géranium, le père prend conscience de l’arrestation de son épouse. Le petit garçon est déposé par son père chez Mme Bufferand. Le père laisse son fils.
    6. La situation finale : Par la discussion des adultes, le petit garçon apprend la déportation de ses deux parents.

 

Þ Bilan 2 : La difficulté à " borner " précisément les différentes étapes du schéma rend compte de l’originalité de sa construction. La composition d'ensemble : un premier trajet sur un parcours habituel, le retour, le premier dénouement qui voit le petit garçon perdre en même temps sa mère et sa maison, le second dénouement dans lequel il entend la conversation des grands. Le texte fonctionne presque sur le mode d’un récit policier, il ménage un suspense on pense que c’est seulement le père qui va quitter l’enfant. Tout le récit sous entend que le père est un résistant.

 

  • 3) Réécriture :
  • Pour rendre les élèves sensibles au choix du point de vue narratif et à ses implications dans la nouvelle, on leur demandera de réécrire la nouvelle sous la forme d’un journal intime écrit par le petit garçon, une fois les événements passés.

     

    Séance 2 et 3 : Études des formes du chronotope de la nouvelle

    Le titre offre une entrée facilement exploitable, il situe l'action dans un temps précis; et une simple lecture cursive nous révèle, à travers un ensemble de choix lexicaux récurrents, à quel point la perception de la différence inscrite dans ce jour-là passe par un rapport différent à l'espace (dans la mesure où le petit garçon constate plusieurs infractions qui viennent briser la continuité du rapport à certains lieux privilégiés de son expérience enfantine).

    Analyser l'espace et le temps ne revient pas à plaquer des entrées stéréotypées sur une fiction originale. C'est tout au contraire, s'engager dans une étude qui va nous conduire à décrire et interpréter une stratégie narrative confrontée à la nécessité de dire le traumatisme suscité par l'irruption de la barbarie dans la trame (l’espace, mais aussi le temps) d'une existence.

     

    Séance 2 : L’espace

    Aborder la question du traitement de l'espace dans la nouvelle, c'est tout d'abord convier les élèves à un parcours d'ensemble, au cours duquel on relèvera méthodiquement les différents éléments qui construisent une vision systématique de l'espace.

    Une remarque essentielle, qui prend appui sur plusieurs passages mentionnés les choix lexicaux installent l’idée d'un espace habité, traversé par le regard des hommes.

     

  • Þ Bilan 1 : Le point de vue. Qui perçoit l’espace ?
  • · D’une part l'utilisation fréquente et itérative des adjectifs " grand " et " petit " qualifient de nombreuses réalités du paysage. Le recours à ce système de caractérisation binaire extrêmement pauvre participe d'une stratégie facilement identifiable. Il s'agit de donner à voir le paysage par les yeux de l'enfant et, par là même, de tisser un lien encore plus étroit entre personnages et lieux, au point que s’attaquer aux premiers revient à s'attaquer aux seconds. La catastrophe prend une ampleur cosmique, elle concerne l'ensemble de l'existant.

    · D'autre part les procédés de caractérisation des lieux par un ensemble de procédés à l'effet convergent: tournures proches de l'épithète homérique (" le chemin du hérisson ", ligne 50), périphrases imitant le point de vue enfantin (" le fossé qui monte et descend ", ligne 18), les associations métaphoriques révélatrices elles aussi du point de vue enfantin (" les pierres " / " les dragées ", ligne 39). L'ensemble de ces procédés de style et de ces choix narratifs véhicule un sens identique. Nous sommes bien en présence d'un espace habité par l'humain, et la catastrophe qui se profile est d'autant plus effrayante qu'elle porte atteinte à une harmonie profonde.

     

  • Les différents lieux et leur caractérisation :

    a- Les différents lieux :

  • " jardin ", " route ", " la Grande Vue ", " le Grévisaudan ", " le grand rocher ", " les toutes petites maisons ", " les routes comme des égratignures ", " le bord du fossé ", " le rocher de pierre carrée ", " la maison ", " au petit pont, sur la Grisonne ", " le torrent ", " le chemin du hérisson ", " la fontaine de bois ", " le sentier ", " la colline ", " le mur du jardin, les deux mélèzes, la maison, la fenêtre de la cuisine ", " le petit salon ", " la salle à manger ", " la gare ".

     

    b- Le sens des lieux :

    - un espace familiale : jardin, maison, cuisine

    - la promenade : un espace naturel, parcouru et façonné par l’homme, espace ritualisé, bienfaiteur (les arbres, les fruits, l’eau)

    - un espace identifiable, ancré dans la réalité grâce à l’utilisation des noms propres

    - un espace étranger : " chez madame Bufferand "

    - un espace évoqué : la gare qui connote fortement la déportation

    - on peut également mettre en évidence l’opposition espace enfantin / espace adulte

     

  • Þ Bilan 2 : Les significations de l’espace
  • Cet espace habité est donc, logiquement, un espace ritualisé, un espace signifiant, un espace dans lequel des valeurs sacrées sont attachées à certains lieux. L'ensemble des lieux évoqués dans le chapitre forme une trame, une ligne dont les différents points se succèdent selon un ordre si prévisible que le petit garçon est attentif à tout changement susceptible d'intervenir. Cette continuité de l'espace est celle de la continuité des rites de possession des lieux. Cette continuité est thématisée / mise en abyme dans l'image de l'eau, dont le père parle à son fils. Comme l’espace, l'eau est (et sera) toujours là. Sa présence renouvelée vise à rendre plus scandaleuse encore l'idée de la prochaine disparition des humains. La continuité de l’espace (thématisée dans celle du cours d'eau) renvoie à la continuité de la vie. C'est cette continuité qui est brisée dans son essence même. L'irruption de la barbarie est dite par une série de menues infractions concernant l'occupation des lieux (" on ne fait plus ceci ", " on fait cela ", etc.). La barbarie scelle l'irruption de l'inhumain, en brisant ce qui ne pouvait / ce qui ne devait pas l'être, à savoir la continuité du fil de la vie.

    Le double système de focalisation auquel le texte a recours peut faire ici l'objet d'un commentaire synthétique. L'espace est en effet perçu par le canal du petit garçon, ce dont témoignent le système de qualification évoqué plus haut (qui concerne aussi bien le paysage, que la maison de Mme Bufferand avec son " petit salon ") ainsi que certains choix syntaxiques: " Pourquoi ? Savait pas ". L'espace est domestiqué par une conscience enfantine qui y construit les modalités d'un rapport au monde et à la nature que l'irruption de la barbarie vient anéantir. Mais l’espace nous est également restitué par le canal d'un narrateur adulte, qui introduit plus directement encore la dimension polémique au sein de cette fiction.

    Ce double système permet au texte d'évoluer sur plusieurs registres. La perception enfantine de l'espace autorise les échappées vers le fantastique, et même le conte merveilleux. Il est difficile en effet, s'agissant d'un petit garçon qui part en promenade et se soucie de graviers et de petits cailloux, de ne pas penser à Perrault. Mais la perception adulte de l'espace (qui nous enracine dans une réalité géographique précise, celle de la France) nous oriente vers d'autres enjeux. En construisant un espace systématiquement habité par l'humanité, le texte dit l'ampleur d'un crime qui affecte l’ensemble de l'ordre du monde, le crime contre l'humanité. On remarquera d'ailleurs que la scène, même localisée dans une région précise par certains termes qu'il est possible de relever (l'Isère, le Grésivaudan), se déroule aussi dans un espace très largement abstrait, un espace formé de lignes et de courbes, de montées et de descentes, de points rapprochés ou éloignés, qui contribue - de par sa stylisation même - à accentuer encore la portée du discours tenu.

     

    Séance 3 : Le temps

     

    Le seul titre de la nouvelle devrait suffire à justifier la nécessité d’aborder l’organisation temporelle de la nouvelle ; c’est bien un certain rapport, au temps et au déroulement des événements, qui fait de " ce jour-là ", un jour si singulier.

    Trois niveaux de temporalité:

    · le passé, évoqué dans les sorties précédentes du père, dans l'épisode des bonbons, celui de la purée de marrons, celui du facteur. Il est possible, bien entendu, de faire procéder à un relevé de ces épisodes, et de dégager rapidement une interprétation de ces différents passages. le passé surgit par bribes : le texte nous communique une série d'expériences personnelles qui furent celles du jeune garçon. Cette évocation du passé s'inscrit dans la logique du recours à la focalisation interne. Il ne s'agit pas d'évoquer un temps historique, mais une temporalité subjective, habitée par des expériences intimes auxquelles chaque lecteur peut s'identifier parce qu'il est un parent ... ou un enfant.

    · le présent. Le relevé des passages concernés peut donner l'occasion de faire procéder à un inventaire d'un ensemble de choix lexicaux récurrents. Deux séries lexicales s'opposent en effet dans le texte ; d'une part celle qui insiste sur la continuité de l’expérience (oui, ce qui se passe aujourd'hui ne s'écarte pas de ce qui advenait les autres jours), d'autre part celle qui dit la perturbation de l'ordre habituel des choses (rien de ce qui advient aujourd’hui ne se déroule comme d’habitude). C’est l'occasion d'un nouveau parcours d'ensemble dans le texte de la nouvelle.

    On observe une alternance entre références à l'habitude et évocation de la différence par rapport à la norme, qui concourt puissamment au dynamisme du récit. Schématiquement, la répartition est la suivante :

     

     

    Habitude : faits se produisant pendant la promenade habituelle (passée)

     

    Écart : faits se déroulant pendant la promenade de ce " jour-là " (présent)

     

    " le pot de géranium "

     

    infime au départ " il y avait longtemps "

     

    " D’habitude il se fâchait quand il entendait ce bruit là. "

     

    " cette fois papa ne dit rien "

     

    " On s’arrêterait et on regarderait. "

     

    " Mais papa […] ne s’arrêta même pas. Þ on ne contemple pas le paysage comme d’habitude

     

    D’habitude on joue dans le fossé.

     

    " le petit garçon ne put lâcher son père pour grimper "

    " Ça l’ennuya un peu […]. Ça faisait une promenade qui ne ressemblait pas tout à fait aux autres. "

     

    " Un peu plus loin il y avait le rocher de pierre carrée. On s’y asseyait d’habitude. […] mais souvent assis sur cette pierre, papa ne disait rien. "

     

    Pas d’écart

     

    " D’habitude, ici, papa la lâchait "

     

    " La seule chose pas naturelle c’était que papa ne quittait toujours pas la petite main. "

     

     

    " alors le petit garçon, pour la première fois pendant une de ces promenades, aurait bien voulu revenir à la maison. "

     

    " comme les autres fois jusqu’au petit pont […]. On partit vers le petit pont, alors, tant mieux."

     

    [Remarque du père sur l’eau et le temps. Réaction de l’enfant]

     

    " D’ordinaire on ne s’asseyait jamais sur ce tronc d’arbre. "

     

    " il s’assit "

     

    " Le pot de géranium "

     

    " il n’y était plus "

     

    " au lieu de descendre "

     

    " ils retournèrent sur leur pas "

    A partir de là tout le cours habituel de la promenade est évidemment bouleversé

    · L'évocation du lendemain est placée sous le signe de la brisure. L'événement principal a lieu pendant les " astérisques ", auxquels incombe la responsabilité de dire la monstruosité de la brisure du lien familial, de la déportation et de l’extermination industrielle d'êtres humains.

    Le texte ménage une continuité entre passé, présent et futur. La continuité temporelle est double, c'est celle

    · des générations qui se succèdent,

    · des promenades qui se succèdent, au cours desquelles un message sur la continuité de la vie est délivré (cf. le rôle de l'évocation de la rivière).

    La continuité temporelle est évoquée pour faire clairement ressortir le scandale de son interruption. Le lien entre les générations est rompu : la mère disparaît, puis le père ; et à la promenade succède l’enfermement dans un lieu clos - les promenades s'interrompent aussi.

    C'est à la mémoire que revient la fonction de fixer le souvenir de ceux qui ne sont plus, le souvenir de ce qui ne devait ni ne pouvait être brisé - mais l’a été cependant. La plume mouillée de rosée de la fin de la nouvelle dit en abyme ce projet. La plume renvoie évidemment à l'écriture. Quant à la rosée, elle est ambiguë, dans la mesure où elle dit aussi bien la vie qui prend son élan depuis un nouveau matin, que les larmes du chagrin qui mouillent irrémédiablement la plume de celui qui écrit.

     

    Þ Bilan : Analyse du Temps

    Une temporalité qui n’est pas historique (la Résistance ou la déportation des juifs, dont il est d’ailleurs difficile de juger s’il s’agit de l’une ou de l’autre, n’est que suggérée, mise en scène par des indices) mais subjective et qui donc favorise l’identification du lecteur. L’alternance entre l’itératif et l’écart concourt à dynamiser le récit. Enfin l’évocation du futur fait de cette nouvelle une dénonciation de la barbarie. De ce fait le traitement de la temporalité participe à la visée argumentative de la nouvelle.

     

    2 - 3. Synthèse

     

    L'étude des formes du chronotope dans la nouvelle permet, d'une part, d'appréhender / d'interpréter finement des choix lexicaux récurrents, de dominer l'ensemble de la nouvelle. Elle permet aussi de montrer comment la dénonciation s'inscrit dans le fil d'une narration qui n’a jamais recours à l'argumentation ex cathedra.

    On aura souligné la disparité du traitement du temps et de l’espace qui n’a rien de " réaliste ". Ainsi les événements font l’objet d’une mise en récit réglée pour produire certains effets.

    Sous la simplicité d'une trame narrative qui ne s'écarte jamais du niveau de langue choisi, la fiction met en scène une authentique dénonciation du crime contre l'humanité, entendu comme l'irruption d'une monstruosité / d'une barbarie qui brise les liens les plus étroits entre les générations d'une part, entre l'humanité et son environnement d'autre part. L’étude des formes du chronotope fournissent l'occasion d'aborder, et de traiter, la question de la dimension militante de cette nouvelle.

     

    Séance 4 : Les personnages

     

    3 - 1. Un système

     

    D'un côté les personnages qui interviennent dans l'action: père, fils et Mme Bufferand. De l’autre, les personnages simplement mentionnés: la mère, les " autres " (le monstrueux " ils " de la ligne 94, également responsable de la disparition du père). Il est évidemment opportun de faire procéder au relevé des différents acteurs concernés par la lettre de l'intrigue.

    Ce système simple de présence / absence est en lui-même générateur d'une tension dramatique, qui place les différents intervenants sous la menace d'une force aussi mystérieuse qu’hostile, susceptible de tout emporter sur son passage (cf. le fait que le père passe de la première à la seconde catégorie).

     

  • 3 – 2. Des caractérisations

     

    3 - 2 - 1. Désignations, étiquettes

     

  • Les personnages n'ont pas de nom propre (à l'exception de " Mme Bufferand ", qui évoque une francité à relier au contexte de l'Isère, du Grésivaudan, et de la France, une France qui pleure, et dont la vieille dame est peut-être une représentation stylisée). Le fait que les deux personnages s'appellent " papa " et " le petit garçon " (au lieu de porter, par exemple, des noms connotés) confère au texte une dimension universelle. Sont concernés (et victimes) des êtres humains unis par le lien du sang le plus fondamental. La barbarie peut certes être rattachée à un contexte historique précis, mais l'anonymat des victimes accentue la charge dénonciatrice.

    En l'absence de dénominations personnelles, le texte, pour évoquer les personnages, a recours à deux types de désignation:

    · la mention des liens du sang (" papa ", " maman ", " le petit garçon "), qui tissent des rapports extrêmement étroits entre ceux que la barbarie vient séparer. Ce choix de désignation est révélateur d'un parti pris polémique. On remarquera que les dénominations de " papa " et " maman " ne voisinent que dans une seule phrase : la barbarie sépare ce qui ne devait / ne pouvait l’être jusque dans la lettre de la fiction.

    · l'utilisation du pronom " on " (passim). Un relevé rapide montre que ce pronom désigne tantôt le père et le fils (c'est l'équivalent familier d'un " nous " dans une syntaxe "enfantine " relâchée), tantôt les hommes en général, tantôt le petit garçon seul. L'omniprésence de ce pronom indéfini (dont l'étymologie renvoie, de façon significative, à "l'humanité", homo) signale l'omniprésence dans la nouvelle d'une humanité malheureuse, traquée, torturée, brisée dans ses références et ses liens les plus intimes (à la nature, aux générations successives).

     

    3 - 2 - 2. Attributs
  •  
  • On remarquera la stylisation de l'évocation du couple père / fils, qui passe par l'opposition du grand et du petit. Variation classique sur des schémas empruntés au conte de fées (le père est même doté de pouvoirs quasi magiques, dans le passage où il peut voir très loin). La pauvreté lexicale (tout est " grand " ou " petit ") relève d'un choix volontaire. Elle exprime une vision du monde qui est celle d'un enfant, une vision du monde avec laquelle l'identification est facilitée.

    Identification entraîne compassion, et révolte : une fois de plus, les choix narratifs sont au service d'une stratégie militante visant à produire une réaction.

    Les corps des personnages sont évoqués dans une série de synecdoques récurrentes. Le père est une main, l'enfant est une chevelure au contact de la main , plus tard il sera une barbe blanche, attribut conventionnel de la vieillesse. Là aussi, on parlera d'épure et de stylisation. Il ne s'agit pas d'évoquer des individualités précises, mais de montrer des incarnations stylisées d'une humanité touchée au plus profond d'elle-même par les événements rapportés ici.

    Quant à la mère, elle est représentée symboliquement dans la conscience de l’enfant, par le pot de géranium ; " on voyait […] la fenêtre de la cuisine, avec le pot de géranium tout vert et orange dans le soleil, et maman était derrière mais on ne la voyait pas " ils disparaissent ensemble.

     

    3 - 2 - 3. Relations 

    Entre les personnages, les relations sont évoquées dans un ensemble de choix lexicaux récurrents (cf. l'épisode de la main tenue, celui de la transmission du message au bord de l'eau, celui du pot de fleur enlevé qui permet aux deux personnages d'échapper à une arrestation immédiate, celui des larmes de compassion versées par la vieille dame). Les rapports sont caractérisés par la solidarité : il s'agit de préserver la force d’un lien en transmettant, coûte que coûte, l'amour et la confiance. L'homogénéité de ce système relationnel signale et dénonce, a contrario, la barbarie qui vient briser les liens ancestraux de solidarité.

     

  • Þ Bilan : Les personnages
  • Il ne s'agit pas d'accumuler des citations, mais de construire du sens. À travers la configuration du système des personnages, par le jeu des désignations, des attributs conférés et dans la mise en place d'un ensemble de relations, c'est toute une réflexion sur l'humain et l'inhumain / la barbarie qui se met en place. La fiction utilise les personnages pour mettre en place une dénonciation de la barbarie.

     

    Bilan de la séquence

    L'intérêt de la nouvelle réside dans la multiplicité des grilles de lecture qui lui sont applicables (occasion d'un nouveau parcours dans l'ensemble) :

    · c'est un conte de fées (cf. les cailloux, le petit Poucet) qui vire au cauchemar (I'Ogre, la " bête immonde " s'incarne véritablement)

    · c'est un récit historique qui stylise un épisode précis de l'histoire de France (cf. la date finale. C'est l’Occupation évoquée dans une série d'informations codées : l'absence de bonbons renvoie au rationnement ; les valises, les gares et les trains évoquent la déportation et l'élimination industrielle de la vie humaine)

    · c'est une dénonciation de l'inhumanité et de la barbarie.

     

    Caractériser le récit dans ces termes, c'est répondre à la question " pourquoi le lire aujourd'hui ? ". Il faut le lire parce qu'il s'agit " une œuvre militante " qui plaide pour des valeurs. Il faut le lire pour perpétuer le souvenir de ce qui est advenu (et qui ne pouvait / ne devait pas arriver).

    Il faut le lire, enfin, pour mettre en place les exigences de la lecture littéraire. On exhibe la cohérence d'un genre court, la nouvelle, et le spécificité d'une lecture active (qui n'est pas celle du consommateur de textes ou d'images) susceptible de faire surgir le sens sous des stratégies complexes d'euphémisation et de dissimulation.

     

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