ANNEXE

 

Durant l'année scolaire 1993-1994, Sabine Contrepois, enseignante d'histoire-géographie du lycée professionnel Frédéric Mistral de Fresnes, décide de "restituer la parole à ceux qui ne l'ont pas". Elle va dès lors gérer un projet qui aura un retentissement national et même international en posant cette simple question aux élèves : "En quoi votre histoire familiale a-t-elle rencontré l'Histoire ?". Le résultat obtenu se présente sous la forme d'un recueil de 41 textes, 41 itinéraires qui racontent 41 trajectoires. Le recueil a été primé et a valu aux élèves l'intérêt de l'université américaine de Berkeley, ainsi que des articles dans Libération (8/11/94), le Pèlerin magazine (18/11/94) et ... le New York Times (25/11/94). En voici l'avant propos :

" Le hasard a fait que votre concours Mémoire des migrations croise le chemin d'un travail sur la mémoire familiale que nous avons engagé cette année.

 

Les modules, qui nous ont donné une plus grande souplesse dans l'organisation des cours d'histoire, nous ont permis de faire aboutir ce projet qui était en germe depuis un certain temps.

 

C'est d'abord le parcours de trois élèves des années précédentes qui nous a amenés à réfléchir sur la mémoire familiale :

- Celui de Meak, d'origine cambodgienne, qui avait les larmes aux yeux le jour où nous évoquions en cours les conflits indochinois. Son père, officier de l'armée cambodgienne, avait été fusillé dès l'entrée des sinistres Khmers rouges dans Phnom Penh. Avec sa mère, elle avait vécu l'horreur des camps avant d'arriver en France, via la Thaïlande.

- Celui de Sadi, d'origine algérienne, qui avait rejoint à dix ans son père installé en France. Son premier contact avec la France s'était fait naturellement par l'intermédiaire de l'école et aussi sous la forme d'une punition. Habitué à tutoyer tout le monde, son professeur lui avait donné à copier cent fois : "je ne dois pas tutoyer mon professeur". Cela l'avait marqué au point qu'un jour où sa langue a fourché, il est devenu rouge de confusion.

- Celui de Nicolas, d'origine bretonne, qui nous expliqua qu'il n'avait jamais mis les pieds en Bretagne et qu'il n'en connaissait rien, pas même une ville. Affectueusement, nous l'avions surnommé "le p'tit Beur".

 

C'est aussi la lecture des ouvrages de Pierre Bourdieu, La Misère du monde et de Pierre Nora, Les Lieux de Mémoire qui a suscité de nombreuses questions dont deux essentielles : 

 

- L'absolue nécessité démocratique de restituer le droit de parole à ceux qui ne l'ont pas, pour des raisons multiples.

Dans le cadre de notre projet, cette restitution n'a pas toujours été synonyme d'appropriation de la parole. En effet, sur six classes concernées, seulement une quarantaine d'élèves ont accepté de raconter leur parcours et d'aller jusqu'au bout. De plus, quelquefois, il nous a fallu de la persévérance. Le cas de Slawek est révélateur. Sachant qu'il était d'origine polonaise et que sa venue en France était récente, nous avons insisté longtemps avant qu'il accepte de participer. Un jour, nous l'avons croisé par hasard, dans le bureau d'une C.P.E. Nous lui avons demandé de quelle ville polonaise il était originaire. Il était de Gdansk. En plaisantant, nous lui avons lancé : "En plus, tu es un cousin de Walesa !". Il répondit : "Ben ... Je le connais". Une semaine après, il avait écrit son texte : sa grand-mère était une dirigeante de Solidarnosc ...

- L'école est un lieu de mémoire extraordinaire, à tous points de vue, et notamment parce que les élèves ont des parcours très divers. Découvrir cette diversité, dans un lycée de la Région parisienne tel que le nôtre, est fascinant. L'école peut être un lieu de mise à jour et de conservation des mémoires individuelles et ainsi enrichir la mémoire collective. La laïcité n'est pas synonyme d'anonymat mais d'égalité dans la reconnaissance de l'identité de tous.

L'intérêt de ce projet est multiple :

1) Il a d'abord un mérite essentiel : celui de créer des liens nouveaux entre la famille, comme cellule de vie, et l'école, comme lieu de vie. Trop souvent ces liens sont distendus voire inexistants. C'est souvent le cas dans les sections professionnelles du lycée. Nos élèves sont souvent étiquetés par des "peut mieux faire" ou par des "résultats insuffisants". Les contacts, quand ils existent, portent sur l'appréciation d'un travail scolaire ou alors sur la communication d'une éventuelle sanction. Le projet nous a permis d'innover en abordant enfin d'autres sujets que le travail strictement scolaire :

- Une mère est venue avec son fils nous parler de son parcours de pupille de la nation.

- Une famille entière s'est mobilisée, ravie de raconter l'histoire de l'arrière grand-mère, grâce à leur fils.

- Une mère a découvert les activités de résistant de son propre père.

- Un élève a élucidé une histoire obscure dont il avait toujours entendu parler. La liste est longue des découvertes et des redécouvertes.

 

2) Le développement et l'enrichissement de la communication entre les élèves constituent un autre intérêt du projet. Rarement, un texte écrit n'a suscité autant d'attention. Quand nous lisions les textes en classe, c'était dans un silence total. Ils ont été frappés par l'extrême diversité de leur parcours même quand ils étaient originaires du même pays. Ils discutaient des textes pendant les récréations.

 

3) Le projet a aussi permis une approche différente de l'Histoire. Ce n'était pas uniquement ce que transmettait le professeur, mais aussi ce que, eux-mêmes, élèves du lycée F. Mistral, avaient à dire.

Ils construisaient l'Histoire. Pour ce faire, ils ont répondu à une question très large :

"En quoi votre histoire familiale a-t-elle rencontré l'Histoire ?

 

Chacun a donné au mot "Histoire" un contenu personnel : conflits violents du XXème siècle, faits de société, anecdotes ... C'était une démarche d'acteur de l'Histoire : leurs familles l'avaient construite d'une manière ou d'une autre, même quand elles avaient été passives.

 

Notre point de départ était un temps fort de leur histoire. puis, à partir de celui-ci, ils ont retracé leurs parcours familiaux. C'est dans la plupart des cas, les grands-parents (que nous avons l'intention de rencontrer par la suite) qui constituent le repère le plus important. Pour les élèves, c'est assez souvent le début de leur histoire.

 

Le problème qui s'est posé après une première lecture des textes, a été de discerner la part de l'imaginaire. Il est évident que celui-ci intervient puisqu'il s'agissait de fouiller dans sa mémoire. Par exemple, une élève, qui a participé au début, à partir d'un fait réel, la déportation d'un ascendant, a purement et simplement imaginé la rencontre de ses grands-parents à ... Tréblinka. Mais, l'exigence, sine qua non, de l'accompagnement du texte par un document personnel, qui en quelque sorte l'authentifie, a finalement exclu les récits fictifs. Ainsi, après avoir élaboré un texte cohérent, chaque participant, volontaire, devait trouver un document en rapport avec son récit.

 

Là encore, l'émotion a été très forte :

- Quand Kémé a apporté sa statue en bois représentant un esclave, les pieds entravés, et revêtu d'une tunique en toile de jute.

- Quand Cédric a apporté la photo de ses arrière grands-parents et de leur dix sept enfants qui était accrochée depuis des dizaines d'années sur un mur de la maison familiale.

- Quand Mohana a apporté la médaille des martyrs et que nous avons réussi à décrypter ce verset du Coran : "Ne pense pas que les martyrs sont morts. Ils sont vivants auprès de Dieu. Il s'occupe d'eux."

- Quans Slawek a apporté les photos de Solidarnosc : celles de l'engagement et de la tendresse.

- Quand Elodie a apporté les photos de scène des Lungla Sisters, sa grand-mère et sa grand-tante.

 

La liste serait longue si je parlais de Samia, Martine, Julie, Gyslaine, Arnaud, les Stéphanie, Nenad, Bruno, les Nathalie, Alex, Sonia, Sevana, les Sylvie, Véronique, Long, Christel, Marina, Patrice, Eric, Yasmina, Corinne, Olivier, Alexandra, Carole, Kamel, Laetitia, Fabrice, Céline, Yassine, Salem ...

Prénoms uniques et confondus. Histoires uniques et confondues ... Nous avons délibérément refusé de regrouper les textes par nationalité. Ceux concernant l'Algérie, par exemple, sont éparpillés en fonction d'un mot clé. Un abécédaire constitue les chapitres ; clin d'oeil à l'institution scolaire, dans laquelle nous sommes réunis pour le pire et le meilleur ...

Par ce travail, que nous espérons publier, nous désirons exaucer un voeu : que les élèves qui déferlent chaque année trouvent davantage leur place dans le système éducatif et donc dans la société française; que leur histoire personnelle soit un tremplin d'intégration dans l'Histoire. Tels sont notre désir et notre volonté."

 

 

Sabine Contrepois PLP Lettres-Histoire Professeur coordonnateur du projet

Jean Marc Levasseur PLP Arts appliqués Chargé de l'iconographie

Pascal Cottin PLP Comptabilité Chargé de la mise en page

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

I-Histoire, mémoire et document

 

Sous la direction de Charles Samaran : L'Histoire et ses méthodes (Paris - La Pléiade / 1973)

 

Marc Bloch : Apologie pour l'histoire ou métier d'historien (Paris / 1949)

 

Lucien Febvre : Combats pour l'histoire (Paris / 1933)

 

Sous la direction de Pierre Nora : Les lieux de mémoire (Paris / 1984)

 

Jacques Le Goff : Histoire et mémoire (Paris / 1988)

 

Henri-Irénée Marrou : De la connaissance historique (Paris /1954)

 

 

II-Les Instructions Officielles

 

Henri Moniot : Didactique de l'histoire (Paris / 1993)

 

Jacqueline Le Pellec et Violette Marcos-Alvarez :

Enseigner l'histoire : un métier qui s'apprend (Toulouse / 1991)

 

Ministère de l'Education Nationale :

Bulletin officiel (n° 43 bis - 4/12/1980, n°32 - 17/9/1987, n° spécial 1 - 12/4/1990, n° 31 - 30/7/92)

 

 

III-Elaboration des documents élèves

 

Albert Dauzat : Dictionnaire étymologique des noms et prénoms de France (Larousse / 1989)

 

Pierre Durye : La généalogie (Que sais-je n° 917 / 1961)

 

Jean-Louis Beaucarnot : ABC de la généalogie (Marabout pratique / 1992)