Les Instructions Officielles concernant les objectifs généraux de l’enseignement de l’histoire et de la géographie en lycée professionnel visent à une même finalité : rendre l’élève capable de se situer, de s’insérer et d’agir dans la société. Le pari est d'autant plus audacieux que l'enseignant d'histoire se trouve toujours coincé entre le savoir savant d'origine universitaire et le savoir scolaire tel que défini dans les programmes du Ministère de l'Éducation nationale. Cette responsabilisation passe par une appropriation de connaissances qui permettront effectivement à l'élève de jouer un rôle pertinent dans la société qui l'environne. Mais ces connaissances acquises n'auront rempli leur fonction que si l'élève est capable de les réinvestir pour comprendre le monde qui l'entoure. Pour parodier une publicité célèbre des années 90, un cours d'histoire c'est savoir et comprendre.

 

 

La lecture des Instructions Officielles explicite parfaitement ce double enjeu et transforme le professeur d'histoire en sélectionneur qui va devoir puiser dans le passé ce qui, à un moment donné, permettra à l'élève de savoir et comprendre. La progression proposée en lycée professionnel éclaire bien cette mission :

 

Les I.O. concernant les 4ème et 3ème technologiques proposent d'ouvrir l'esprit de l'élève :

 

"L’enseignement de l’histoire et de la géographie se propose de répondre à la curiosité des élèves pour le monde qui les entoure : il leur donne le sentiment des solidarités qui les lient à ceux qui les ont précédés et à leur contemporains. [...] l’élève apprend par l’étude de l’histoire et de la géographie à éclairer le présent, à distinguer l’essentiel de l’accessoire ; ce qui dure et ce qui est éphémère.

Il permet en outre :

- de lutter contre la disparition de la mémoire collective [...]

- d’acquérir des connaissances sur l’ailleurs [...], d’être concerné par tout ce qui touche l’homme ..." (1)

L'élève est donc "curieux" et le rôle de l'enseignant sera de nourrir cette curiosité. La finalité est apparente : la curiosité de l'élève doit en faire un gardien-garant de la mémoire collective et un être solidaire.

 

En classe de C.A.P. est franchi un échelon ; l'élève ne se contente plus de recevoir de l'information; il doit aussi la comprendre pour devenir un citoyen plein et entier :

"L’enseignement de l’histoire et de la géographie ayant pour fin essentielle de permettre de mieux comprendre les problèmes qui se posent et, par conséquent, d'apporter plus de compréhension et de liberté dans l’exercice des droits et devoirs du citoyen [...] " (2)

En classe de B.E.P. la progression se poursuit. Arrivé à ce niveau, l'élève doit essentiellement comprendre :

 

"L’enseignement de l’histoire et de la géographie est tourné vers la compréhension du monde contemporain. Il en révèle l’organisation et le fonctionnement dans l’espace terrestre : il en fait saisir les racines , il s’applique à rendre intelligibles ses évolutions récentes [...] "(3)

En fin de cycle l'enseignement approfondit et synthétise ce qui a été développé les années précédentes. L'élève connaît, comprend, se situe, s'insère, respecte ses devoirs et exerce ses droits de citoyen. Il est devenu, par le biais du programme d'histoire un citoyen responsable.

 

"L’enseignement de l'histoire [...] répond à une finalité commune : ouvrir l’esprit à une compréhension du monde contemporain qui permette à l'élève d’agir de façon responsable ; [...] les capacités et les aptitudes à développer doivent permettre à l’élève de se situer dans le monde, de s’insérer dans la société contemporaine où il vit, de mieux comprendre les problèmes qui s’y posent, d’exercer des droits et de respecter les devoirs de l’homme et du citoyen."(4)

L’enseignement de l’histoire et de la géographie a donc quatre missions à remplir. Il doit:

 

Permettre à l’élève de mieux connaître le monde qui l’entoure,

Permettre à l’élève de mieux comprendre le monde qui l’entoure,

Permettre à l’élève de garantir la mémoire collective du monde auquel il appartient,

Permettre à l’élève de jouer un rôle dans le monde qui l’entoure.

Amener l'élève à s'interroger sur lui, à enquêter sur son histoire ... peut donc constituer une étape enrichissante. En valorisant sa propre histoire, il ne pourra qu'être plus ouvert à celle de l'autre et à celle qui complète son itinéraire personnel.

 

L'élève face à l'enseignement

 

Quel enseignement ?

 

Vues du côté de l'enseignant, les Instructions Officielles présentent bon nombre de difficultés d'application. D'abord parce qu'il va devoir choisir les outils les mieux adaptés à sa mission. L'élève doit devenir un citoyen actif, qui comprend le monde qui l'entoure... Comment arriver à gagner ce pari, comment parvenir à motiver, à stimuler une activité intellectuelle fructueuse quand on travaille dans un champ tellement vaste. Que dire, ne pas dire, suggérer ... En tout état de cause, il faut intéresser l'élève.

 

La première étape consiste donc pour l'enseignant à répertorier puis à choisir l'information qu'il va transmettre. Dès lors, une fois la palette définie, il va pouvoir choisir sa stratégie de transmission : elle sera celle du cours magistral ou du cours dialogué ou des deux. Tout est bon pour parvenir à l'appropriation par l'élève.

 

Ensuite l'enseignant peut choisir de se fixer des objectifs déclinés en terme de capacités ; sur telle question, voici ce que l'élève doit être capable de repérer, de décliner, de nommer ... Plus que sur une accumulation de connaissance, l'enseignant parie sur une logique d'apprentissage que l'élève pourrait appliquer à d'autres phénomènes.

 

L'enseignant peut aussi tenter de faire construire par l'élève sa propre connaissance puis compréhension des choses à partir de ses représentations sur un sujet donné qu'elles soient justes ou erronées. Cette pratique offre l'avantage de s'appuyer sur un savoir réel ou supposé et permet de progresser au rythme de l'élève.

 

Enfin, et c'est l'objet de ce mémoire, l'enseignant, s'appuyant sur le vécu historique des élèves ou de leurs familles, peut stimuler la curiosité, l'ouverture au monde environnant, l'envie de connaître sa propre culture et celles des autres. Et surtout il autorise la sortie de l'élève du cocon scolaire et le faisant travailler sur une matière qui lui est beaucoup plus proche.

 

L'élève aux multiples facettes

 

Quelle que soit la stratégie adoptée par l'enseignement, elle vise à confier à l'élève un patrimoine qui l'inscrit (ou devrait l'inscrire) dans une pluridimensionalité qui fera de lui un garant de la mémoire collective. Ces dimensions sont les suivantes :

 

La première touche à la curiosité réelle ou supposée de l'élève : "L'enseignement de l'histoire et de le géographie se propose de répondre à la curiosité des élèves ..."(1). Le préambule est dans cette notion de l'élève curieux par essence. Et s'il ne l'était pas, il revient à l'enseignant de développer cette appétence. L'envie de connaître peut être déclenchée par des artifices de procédure, telle une problématique bien tournée. Elle peut aussi l'être en interpellant l'élève sur ce qui le touche de près : sa propre histoire par exemple.

 

Une fois cette étape franchie, l'élève ne pourra plus se contenter de savoir. Il voudra comprendre. Il est significatif de noter que les mots comprendre ou compréhension. figurent dans tous les B.O. du C.A.P. au Bac Pro. et qu'il s'agit là de la finalité réelle de l'enseignement de l'histoire et de la géographie. Là encore, on peut imaginer intéresser l'élève dès lors qu'on lui demandera de comprendre quelque fait que ce soit le concernant directement.

 

L'individu qui connaît et comprend son parcours historique acquiert a priori une sensibilité particulière l'ouvrant à l'histoire des autres. S'il continue à être spectateur, il doit se développer un lien de solidarité l'unissant dans le temps à sa propre histoire et dans l'espace à celle des autres. De la solidarité à la responsabilité il n'y a plus qu'un pas à franchir, pas de géant certes, mais qui garantit la réussite du pari. La solidarité est source d'empathie et de prise de position. L'élève est donc, à cette étape, armé pour prendre à bras le corps ses responsabilités de citoyen. Tout en intégrant son vécu dans un tissu collectif, il intègre l'autre, lui donne sa place. Le tout construit une histoire collective qui nourrira la mémoire individuelle et la mémoire collective.

 

Mémoire individuelle et mémoire collective

 

L'exploitation de la mémoire individuelle de l'élève répond-elle au défi lancé par les Instructions Officielles ? A ce niveau de réflexion, la réponse semble sans aucun doute positive. Et encore plus dans des structures scolaires offrant une diversité d'origine aussi riche que le lycée professionnel. Une classe de B.E.P. est une véritable mine de destins individuels qui ont, au travers des générations, rencontré l'histoire. Un travail mené au lycée professionnel Frédéric Mistral de Fresnes par Sabine Contrepois en est la preuve éclatante. Ce professeur d'histoire a posé cette simple question à ses élèves : "En quoi votre histoire familiale a-t-elle rencontré l'Histoire ?". Le résultat fut la rédaction de 41 itinéraires pour laquelle les élèves ont reçu en 1994 le premier prix du concours "Mémoire des migrations" de la Fondation pour l'intégration républicaine(5). Nul doute qu'à cet endroit précis le travail sur l'identité individuelle a rempli la mission impartie aux enseignants : la nécessité de l'insertion de l'élève dans le monde qui l'entoure.

 

La connaissance de son passé personnel est une merveilleuse entrée en matière pour un cours d'histoire. Elle explique pourquoi chacun de nous est là où il est, elle stimule l'envie de savoir comment, elle permet de mieux comprendre les autres, de mieux les connaître et de les accepter ... Car tout destin individuel a, qu'on le veuille ou pas, rencontré à un moment ou à un autre la grande histoire. Cette réalité a d'ailleurs des applications lucratives récentes ; on peut aujourd'hui acheter le fac-similé du journal paru le jour de sa naissance ou le film des événements de l'année de sa naissance. Que se passait-il dans le monde lorsque je suis né ? A quel moment historique ma naissance se rattache-t-elle ? Mon parcours individuel s'inscrit-il dans la grande histoire ? La grande histoire prend-elle en compte mon parcours individuel ? A regarder les monuments aux morts des guerres qu'a connues la France, il n'y a aucun doute sur ce point.

 

Chaque individu est porteur d'un morceau de la mémoire collective que ce soit sur le plan local, régional ou national. Il est vrai que pour le jeune, l'élève d'un lycée professionnel, cette mémoire qui lui est transmise est celle de l'adulte. Si l'enseignant se donne pour ambition que le jeune annexe cette mémoire pour qu'elle vienne nourrir celle des générations futures, dont celle à laquelle il appartient, encore faut-il qu'il ait provoqué en lui l'envie (la curiosité) de savoir et qu'il lui ait prouvé la nécessité de l'exploitation d'un tel savoir.

 

Il faut donc élaborer un projet qui entraîne l'élève à s'interroger sur lui-même afin de l'amener à s'interroger sur l'autre.

 

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Notes :

 

(1) B.O. n° spécial 1, 12 avril 1990.

(2) B.O. n° 43 bis, 4 décembre 1980.

(3) B.O. n° 31, 30 juillet 1992.

(4) B.O. n° 32, 17 septembre 1987.

(5) Voir annexe.