Arthur Rimbaud (1854-1891), poète de génie, cesse d’écrire à l’âge de vingt ans. Il part seul en Afrique pour une vie de commerce et d’aventures.

Texte 1

De Madame Rimbaud à son fils

Roche, 10 octobre 1885

 

Arthur, mon fils,

 

    Ton silence est long, et pourquoi ce silence ? Heureux ceux qui n’ont pas d’enfants, ou bien heureux ceux qui ne les aiment pas: ils sont indifférents à tout ce qui peut leur arriver. Je ne devrais peut-être pas m’inquiéter; l’année dernière, à pareille époque, tu as déjà passé six mois sans nous écrire et sans répondre à aucune de mes lettres, quelque pressantes qu’elles fussent ; mais cette fois-ci voici bien huit longs mois que nous n’avons eu de tes nouvelles. Il est inutile de te parler de nous, puisque ce qui nous concerne t’intéresse si peu. Cependant, il est impossible que tu nous oublies ainsi : que t’est-il donc arrivé ? N’as-tu plus ta liberté d’action? Ou bien es-tu malade au point de ne pouvoir tenir la plume ? Ou bien n’es-tu plus à Aden ? Serais-tu passé dans l’Empire chinois ?

 

   En vérité, nous perdons la raison à force de te chercher; et j’en reviens à dire: heureux, oh! bien heureux ceux qui n’ont point d’enfants, ou qui ne les aiment pas ! Ceux-là, du moins, n’ont pas de déception à redouter, puisque leur cœur est fermé à tout ce qui les entoure. A quoi bon m’étendre davantage ? Qui sait si tu liras cette lettre? Peut-être ne te parviendra-t-elle jamais, puisque je ne sais où tu es, ni ce que tu fais.

 

    Bientôt, tu dois être appelé pour faire tes treize jours comme soldat ; les gendarmes viendront encore une fois ici pour te chercher. Que puis-je dire ? Si du moins tu m’avais envoyé ton pouvoir, comme tu me l’as déjà donné, je l’aurais fait voir aux autorités militaires ; mais voici déjà trois fois que je te le demande sans rien obtenir. Tout donc à la volonté de Dieu ! Quant à moi, j’ai fait ce que j’ai pu.

 

À toi.

V[euve] Rimbaud

 

 

Texte 2

Cette photo, il faut l’avoir sans cesse à portée de regard, quand on lit Rimbaud, ses poèmes, ses lettres, quand on lit sa vie, l’énigme de sa vie, il faut revenir à ce menton de fugueur, à ces yeux qui transpercent de leur transparence, de leur invincibilité. Et cette moue du malheur, cette ombre sur le visage, ce pressentiment d’une malédiction au bout de la fugue, toujours — Rimbaud, poète, qui écrira: « Des petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières. »

Dix-sept ans, à peine sorti de l’enfance, et déjà cette immense soli­tude, cette souffrance et cette révolte dans les yeux. Rimbaud enfant, à Charleville («Charlestown », comme il dira très vite), père absent, mili­taire toujours ailleurs, d’une garnison à l’autre, puis disparaissant complètement, fugueur parfait. Et sa mère, la « mère Rimb », la « mother »... autoritaire, inflexible, bigote (1), dure avec elle et les autres, mère terrible qui verra, face à elle, Arthur aux lèvres serrées, aussi dur, aussi inflexible qu’elle, muré dans un mutisme (2), un orgueil d’enfant seul, à jamais.

ALAIN REMOND, Télérama, 6 novembre 1991.

 

 

 

(1)Bigote : personne qui affiche des sentiments religieux excessifs.

(2)Mutisme : refus de parler.

 

Texte 3

 

Sensation

 

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,

Picoté par les blés, fouler l’herbe menue

Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la Nature, — heureux comme avec une femme.

 

Arthur RIMBAUD, Poésies, mars 1870.

 


 

 

Compréhension des textes (10 points)

 

1. La lettre de Madame Rimbaud à son fils (texte 1) et l’article d’Alain Rémond dans Télérama (texte 2) présentent deux images différentes de la mère : lesquelles ? Justifiez votre réponse en relevant dans les deux textes des expressions, des répétitions, des signes de ponctuation significatifs. (BEP. 2 points; CAP: 2 points)

2. Madame Rimbaud, dans le premier paragraphe de sa lettre, formule deux reproches essentiels à son fils. Lesquels ? (BEP: 2 points; CAP. 4 points)

3. Quels liens établissez-vous entre le poème « Sensation» (texte 3) et les textes 1 et 2 ? (BEP: 2 points; CAP: 1 point)

4. Relevez dans le poème au moins deux images (comparaisons, méta­phores). Expliquez-les et dites ce qu’elles expriment. (BEP:4 points; CAP: 3 points)

 

Compétences d’écriture (10 points)

 

Arthur Rimbaud a reçu le courrier de sa mère daté du 10 octobre 1885. Sous la forme d’une lettre d’une vingtaine de lignes, vous imaginerez la réponse du poète expliquant son silence, sa soif d’aventure et de liberté.