Scène 2 : CÉSAR, PANISSE, LE CHAUFFEUR

 

CÉSAR (il garde sa main sur le bouchon de la bouteille) — Ô Panisse, que tu te fais rare ! On ne t’a pas vu depuis hier.

PANISSE (très digne) — Puisque tu m’invites, je viens : il serait bien mal poli de te refuser un verre de mousseux.

CÉSAR — Je comprends !

PANISSE (grave. et presque solennel) — Mais j’avais juré de ne plus remettre les pieds chez toi, et c'est une promesse que je tiendrai.

CÉSAR — Et pourquoi tu ne veux plus remettre les pieds chez moi ?

PANISSE (sévère) — Parce que ton fils est un grossier.

CÉSAR — Mon fils est un grossier ?

PANISSE — Un véritable grossier.

CÉSAR (il hausse les épaules) — A vouatt !

PANISSE — Il n’y a pas de vouatt ! Et la première fois que je le rencontre, ça sera un coup de pied au derrière.

CÉSAR — À vouatt !

PANISSE (menaçant et cruel) — Et tu peux remarquer que je ne porte plus les espadrilles. Aujourd’hui, j’ai mis les souliers.

(Il exhibe les souliers. Cette menace précise met César hors de lui-même.)

CÉSAR — Et c’est à moi que tu viens dire ça ?

PANISSE (sévère) — C’est à toi.

(César descend du comptoir. Le chauffeur veut se mettre entre eux.)

LE CHAUFFEUR — Ayayaïe !

CÉSAR (il repousse le chauffeur du côté gauche) — Panisse, si seulement tu touches mon petit, moi je t’en fous un coup de pied dans le derrière, qui fera claquer des dents.

PANISSE (il ricane) — C'est à voir.

LE CHAUFFEUR — Ayayaïe !

CÉSAR (il repousse le chauffeur) — Non, c’est tout vu. Si seulement tu lèves la main sur Marius tu le regretteras six mois a l’hôpital !

PANISSE (hésitant) — César tu ne me fais pas peur.

LE CHAUFFEUR (même jeu, il se met au milieu) — Ayayaïe. Ayayaïe !

CÉSAR (il repousse le chauffeur) — Si tu frôles un cheveu de sa tête ce n'est pas à l’hôpital que tu te réveilles : c'est au cimetière !

PANISSE (faiblement) — Tu sais, j’en ai assommé de plus forts que toi !

CÉSAR (les yeux au ciel) — Bonne Mère, c’est un meurtre mais c’est lui qui l’a voulu ! (le chauffeur s'est  mis entre eux. César, les mains largement ouvertes, s’avance vers Panisse pour l’étrangler. Solennel. ) Adieu Panisse !

PANISSE (il flageole et, d'une voix résignée) — Adieu César ! (Il tombe sur la première chaise à droite. César l’étrangle. Le chauffeur a bondi jusqu’à la porte et regarde le combat, épouvanté. Soudain une détonation retentit. Le chauffeur disparaît dans la rue. C’est le bouchon du mousseux qui vient de sauter. Panisse râle.) Le mousseux … Le mousseux.

CÉSAR — Ô coquin de sort !

(Il lâche Panisse et court derrière le comptoir chercher la bouteille de mousseux. Il la saisit et la bouche avec la paume de ses mains. Panisse, qui est remonté devant le comptoir, à droite, a pris les deux verres et les lui tend. César les remplit. Puis il en prend un et boit. Panisse fait de même. Un temps.)

PANISSE (très naturel) — Il n’est pas assez frais.

CÉSAR — C’est vrai, il n’est pas assez frais. Je vais en mettre une bouteille dans le puits pour demain.

PANISSE (il tend de nouveau son verre) — Mais quand même, il n’est pas mauvais …

(César remplit le verre de Panisse)

 

Marcel Pagnol, Marius, Acte II, Scène 2