SUJET BAC TERTIAIRE – ACADÉMIE DE PARIS – SESSION JUIN 2000

 

TEXTE 1

 

Ce n'est pas vraiment une sortie, le cinéma. On est à peine avec les autres. Ce qui compte, c'est cette espèce de flottement ouaté que l'on éprouve en entrant dans la salle. Le film n'est pas commencé ; une lumière d'aquarium tamise !es conversations feutrées. Tout est bombé, velouté, assourdi. La moquette sous les pieds, on dévale avec une fausse aisance vers un rang de fauteuils vide. On ne peut pas dire qu'on s'assoie, ni même qu'on se carre dans son siège. Il faut apprivoiser ce volume rebondi, mi-compact, mi-moelleux. On se love à petits coups voluptueux. En même temps, le parallélisme, l'orientation vers l'écran mêlent l'adhésion collective au plaisir égoïste.

 

Le partage s'arrête là, ou presque. Que saura-t-on de ce géant désinvolte qui lit encore son journal, trois rangs devant ? [...]

 

L'obscurité se fait, l'autel s'allume. On va flotter, poisson de l'air, oiseau de l'eau. Le corps va s'engourdir, et l'on devient campagne anglaise, avenue de New York ou pluie de Brest. On est la vie, la mort, l'amour, la guerre, noyé dans l'entonnoir d'un pinceau de lumière où la poussière danse. Quand le mot fin s'inscrit, on reste prostré, en apnée *. Puis la lumière insupportable se rallume. Il faut se déplier alors dans le coton, et s'ébrouer vers la sortie en somnambule. Surtout ne pas laisser tomber tout de suite les mots qui vont casser, juger, noter. Sur la moquette vertigineuse, attendre patiemment que le géant au journal soit passé devant. Cosmonaute pataud, garder quelques secondes cette étrange apesanteur.

 

Philippe DELERM, La première gorgée de bière, 1997

 

* en apnée : en retenant sa respiration.

 

TEXTE 2

 

Suzanne est venue voir un film d'amour au cinéma. Elle évoque les personnages qu'elle découvre .sur l'écran.

 

La lumière s'éteignit. Suzanne se sentit désormais invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur. C'était l'oasis, la salle noire de l'après-midi, la nuit des solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverte à tous, offerte à tous, plus généreuse, plus dispensatrice de bienfaits que toutes les institutions de charité et que toutes les églises, la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs, et où se lave toute la jeunesse de l'affreuse crasse d'adolescence.

 

C'est une femme jeune et belle. Elle est en costume de cour *. On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d'autre que ce qu'elle a déjà, que ce qu'on voit. Les hommes se perdent pour elle, ils tombent sur son sillage comme des quilles et elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au premier plan, tandis qu'elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et toujours plus accablée par l'appareil immaculé de sa beauté. Et voilà qu'un jour de l'amertume lui vient de n'aimer personne. Elle a naturellement beaucoup d'argent. Elle voyage. C'est au carnaval de Venise que l'amour l'attend. Il est très beau l'autre. II a des yeux sombres, des cheveux noirs, une perruque blonde, il est très noble. Avant même qu'ils se soient fait quoi que ce soit on sait que ça y est, c'est lui. C'est ça qui est formidable, on le sait avant elle, on a envie de la prévenir. Il arrive tel l'orage et tout le ciel s'assombrit. Après bien des retards, entre deux colonnes de marbre, leurs ombres reflétées par le canal qu'il faut, à la lueur d'une lanterne qui a, évidemment, d'éclairer ces choses-là, une certaine habitude, ils s'enlacent. Il dit je vous aime. Elle dit je vous aime moi aussi. Le ciel sombre de l'attente s'éclaire d'un coup. Foudre d'un tel baiser. Gigantesque communion de la salle et de l'écran. On voudrait bien être à leur place. Ah ! comme on le voudrait.

 

Marguerite DURAS, Un barrage contre le Pacifique, 1950

 

* en costume de cour : robe et accessoires luxueux qui conviendraient à un cortège princier ou à un déguisement de carnaval vénitien.

 

DOCUMENT ICONOGRAPHIQUE

 

 

Le baiser entre Cary Grant et Ingrid Bergman : "je donnais au public le privilège d'une sorte de ménage à trois temporaire", dira Hitchcock.

 

L'express, le magazine, 13/5/1999

 

COMPÉTENCES DE LECTURE (12 points)

 

1- Selon Philippe Delerm, quel est l'état d'esprit d'un spectateur qui assiste à une séance de cinéma ? Justifiez votre réponse à l'aide d'exemples tirés du texte. (3 points)

2- Quels éléments du texte de Marguerite Duras illustrent l'expression "gigantesque communion de la salle et de l'écran" ? (4 points)

3- Comment comprenez-vous la citation d'Alfred Hitchcock figurant sous la photographie ? De quelles phrases du texte de Philippe Delerm et du texte de Marguerite Duras peut-elle être rapprochée ? (5 points)

 

COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (8 points)

 

Responsable du Club Cinéma de votre établissement, vous rédigez un texte (d'une quarantaine de lignes) destiné à être placardé dans le hall d'entrée sur un panneau d'informations pour inciter vos camarades à s'inscrire au club. A l'aide d'arguments de votre choix, vous essaierez de faire partager votre passion pour le cinéma.

 

N.B. afin de respecter les règles de confidentialité, votre texte ne révélera ni votre identité, ni le lieu où il est écrit.

 

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