CAP GROUPEMENT EST - FRANÇAIS – JUIN 2003

 

TEXTE

 

On remonta sur le pont après dîner. Devant nous, la Méditerranée n'avait pas un frisson sur toute sa surface, qu'une grande lune calme moirait1. Le vaste bateau glissait, jetant sur le ciel, qui semblait ensemencé d'étoiles, un gros serpent de fumée noire ; et, derrière nous, l'eau toute blanche, agitée par le passage rapide du lourd bâtiment, battue par l'hélice, moussait, semblait se tordre, remuait tant de clartés qu'on eût dit de la lumière de lune bouillonnant.

Nous étions là, six ou huit, silencieux, admirant, l'œil tourné vers l'Afrique lointaine où nous allions. Le commandant, qui fumait un cigare au milieu de nous, reprit soudain la conversation du dîner.

- Oui, j'ai eu peur ce jour-là. Mon navire est resté six heures avec ce rocher dans le ventre, battu par la mer.  Heureusement que nous avons été recueillis, vers le soir, par un charbonnier2 anglais qui nous aperçut.

Alors un grand homme à figure brûlée, à l'aspect grave, un de ces hommes qu'on sent avoir traversé de longs pays inconnus, au milieu de dangers incessants, et dont l'œil tranquille semble garder, dans sa profondeur, quelque  chose des paysages étranges qu'il a vus ; un de ces hommes qu'on devine trempés dans le courage, parla pour la première fois :

- Vous dites, commandant, que vous avez eu peur ; je n'en crois rien. Vous vous trompez sur le mot et sur la sensation que vous avez éprouvée. Un homme énergique n'a jamais peur en face du danger pressant. Il est ému, agité, anxieux ; mais la peur, c'est autre chose.

Le commandant reprit en riant :

- Fichtre ! Je vous réponds bien que j'ai eu peur, moi.

Alors l'homme au teint bronzé prononça d'une voix lente :

- Permettez-moi de m'expliquer ! La peur (et les hommes les plus hardis peuvent avoir peur), c'est quelque chose d'effroyable, une sensation atroce, comme une décomposition de l'âme, un spasme3 affreux de la pensée et du cœur, dont le souvenir seul donne des frissons d'angoisse. Mais cela n'a lieu, quand on est brave, ni devant une attaque, ni devant la mort inévitable, ni devant toutes les formes connues du péril : cela a lieu dans certaines circonstances anormales, sous certaines influences mystérieuses en face de risques vagues. La vraie peur, c'est quelque chose comme une réminiscence4 des terreurs fantastiques d'autrefois. Un homme qui croit aux revenants, et qui s'imagine apercevoir un spectre5 dans la nuit, doit éprouver la peur en toute son épouvantable horreur.

 

Maupassant, La peur, 1882.

 

1. moirait : rendait semblable à une moire, étoffe de soie aux reflets changeants.

2. charbonnier : cargo transportant du charbon.

3. spasme : contraction involontaire d'un muscle.

4. réminiscence : souvenir vague.

5. spectre : fantôme.

 

QUESTIONS

 

Toutes les réponses doivent être rédigées

 

I - COMPÉTENCES DE LECTURE    (10 points)

 

1.

a) Combien de personnages dialoguent ? Relevez les trois termes qui les identifient. (2 pts)

b) Quel est le sujet de leur conversation ? (1 pt)

c) Dans quelle situation le commandant a-t-il eu peur ? (1 pt)

d) Qu’en pense « l’homme au teint bronzé » ? (2 pts)

 

2.

a) Dans la réponse (« Permettez-moi de m'expliquer ... en toute son épouvantable horreur ») que fait « l’homme au teint bronzé » ? Relevez les mots ou expressions (champ lexical) qui évoquent la peur. (2 pts)

b) Donnez un synonyme de « anxieux » et de « péril ». (2 pts)

 

II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE    (10 points)

 

« Oui, j'ai eu peur ce jour-là ... aperçut »

 

Après avoir relu cet extrait, développez, dans un premier paragraphe, les différentes raisons qui ont provoqué la peur du commandant. Puis, dans un second paragraphe, expliquez quelles auraient été vos propres réactions dans de telles circonstances. Rédigez un texte structuré d’une quinzaine de lignes.

La qualité de l’orthographe, de la syntaxe et de la grammaire sera prise en compte dans la limite de deux points.

 

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ÉLÉMENTS POUR LE CORRIGÉ

 

1. a) deux personnages (0.5 pt)

« le commandant » - « l’homme à figure brûlée » - l’homme au teint bronzé » (0.5 x 3)

b)      La peur

c)       Lors d’un naufrage contre un rocher (« mon navire est resté six heures…. »)

d)      Il pense que ce n’est pas une vraie peur, il n’est pas d’accord avec lui.

 

2. a) il explique ce qu’est la vraie peur (4 x 0.5)

« effroyable, atroce, frissons d’angoisse, péril, terreurs fantastiques, épouvantable horreur »

     b) « anxieux » : inquiet (1pt) « péril » : danger (1 pt)

 

II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (10 points)

 

Critères d’évaluation : respect de la longueur – respect de la situation de communication – cohérence avec le texte – logique de solutions proposées et des réactions – expression.

 

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