Scène 3

 

THÉRÈSE - C’est ma cousine Josette.

MORTEZ (sévère) - On avait dit pas de visites, Thérèse...

THÉRÈSE - Mais c’est Noël... Pierre...

 

Mortez va ouvrir la porte.

 

MORTEZ - Ah, c’est Monsieur Preskovich, Thérèse, bonsoir, Monsieur Preskovich.

PRESKO - Bonsoir, Monsieur Mortez.

MORTEZ - Vous allez bien ?

PRESKO - Bonsoir Madame Thérèse.

THÉRÈSE - Vous allez bien Rhadam?

PRESKO - Ça va, ça va, je passais pour vous souhaiter la Noël, je vous ai apporté un cadeau de mon pays.

THÉRÈSE - Oh, je suis confuse, c’est-à-dire que nous, on a rien prévu du tout, Pierre ?

MORTEZ - Pour vous, non.

THÉRÈSE - Vous comprenez, comme je ne vous ai pas vu depuis quinze jours, moi je croyais que vous étiez parti en vacances dans votre pays.

PRESKO - Mais oui, mais j’ai pas pu, j’ai pas bougé, hein.

MORTEZ - Et puis, on ne vous entend même pas marcher là-haut, Monsieur Preskovich, tellement vous êtes discret.

PRESKO - Mais oui, mais vous savez j’ai du parquet alors j’utilise des patins.

THÉRÈSE (ouvrant le cadeau) - Oh, tiens, qu’est-ce que c’est que ça ?

PRESKO - C’est un cheichar.

MORTEZ - Un quoi?

PRESKO - Un cheichar, c’est un chapeau folklorique. D’ordinaire ça se porte sur le côté et les jours de fête, on le porte en arrière pour la joie.

THÉRÈSE - Ah bon alors. (Elle le met sur sa tête). C’est un chapeau assez ridicule comme chapeau de polichinelle, avec quatre grandes oreilles en plastique cousues sur les côtés. C’est une chose qui vient d’un pays...

MORTEZ - Ça vous va très bien, Thérèse, ça vous va très bien.

PRESKO - Ça lui va bien, hein ? C’est amusant ... parce que normalement c’est pour les hommes.

THÉRÈSE - Mais alors, c’est plutôt à Pierre de le porter.

MORTEZ (mettant le chapeau) - Oui, oui, mais bien sûr. Il y a un devant derrière, Monsieur Preskovich ?

PRESKO - Ah, non c’est égal.

MORTEZ - Alors c’est, c’est le cheichar n’est-ce pas ? Oui, oui, c’est cela, et quand on le met en arrière c’est pour la joie ?

PRESKO - Oui.

MORTEZ - Eh bien c’est très agréable, à part le pompon qui est agaçant. (Il se débarrasse du chapeau.) Eh bien écoutez, Monsieur Preskovich, je suis très content que vous soyez passé nous faire un petit bonjour, et maintenant on va vous faire un petit au revoir...

PRESKO - Je vous avais apporté des chocolats aussi.

THÉRÈSE - Oh, écoutez, on va vous gronder. Je vais les remiser par devers moi.

PRESKO - Et vous ne les goûtez pas, Madame Thérèse ?

THÉRÈSE - Oh, si, on va les goûter.

MORTEZ - Mais bien sûr.

THÉRÈSE - A vous l’honneur, Pierre.

MORTEZ - Oh, les dames d’abord, Thérèse.

THÉRÈSE - On ne sait que choisir...

PRESKO - Je me suis permis d’en prendre quelques-uns.

MORTEZ - Servez-vous Monsieur Preskovich. Tapez dedans.

PRESKO - Oh, non, j’en ai déjà pris, c’est pour vous, allez.

MORTEZ - Ah, bon, c’est vrai qu’on ne sait que choisir, Thérèse ...

PRESKO - Normalement ça se déguste avec de la Schlovetnie, c’est une liqueur des montagnes.

MORTEZ- C’est une coutume ?

PRESKO - C’est une liqueur...

MORTEZ - Oui...

THÉRÈSE - Ça a l’air bon !

 

Thérèse et Mortez goûtent les chocolats. Manifestement, c’est très mauvais.

 

MORTEZ (avec un geste de la main) - C’est très bon.

PRESKO - Ce sont les fameux spotsi d’Ossieck.

MORTEZ - C’est fameux.

PRESKO - C’est une fabrication artisanale.

MORTEZ - On voit bien que c’est fait à la main.

PRESKO - Oui, c’est roulé à la main sous les aisselles. (Têtes de Mortez et Thérèse.) Et puis, ce n’est que des bonnes choses, c’est du cacao de synthèse, avec de la margarine et de la saccharose.

MORTEZ - C’est biodégradable ...

THÉRÈSE - Il y a comme un goût de...

PRESKO - Ah oui, de bismuth, ils sont obligés d’en mettre pour le voyage, c’est un peu dommage parce qu’on sent beaucoup moins la margarine...

MORTEZ - Oui, c’est un petit peu dommage, effectivement... humm et puis je ne sais pas si vous avez remarqué, Thérèse, mais il y a une espèce de deuxième couche à l’intérieur.

THÉRÈSE - C’est fin, ça se mange sans faim, c’est très fin.

MORTEZ - Vous savez, moi qui d’habitude n’aime pas les chocolats, alors là c’est le bouquet

PRESKO - Oui ils ont du bouquet.

MORTEZ - Écoutez, Monsieur Preskovich, on ne va pas vous déranger plus longtemps.

PRESKO - Vous ne me dérangez pas Monsieur Mortez.

MORTEZ (remarquant le crêpe noir sur le revers de Presko) - Non, mais comme je vois que vous avez eu un décès dans votre famille on va vous laisser aller vous recueillir chez vous...

THÉRÈSE - Qu’est-ce qui vous est arrivé Radham ?

PRESKO - C’est une histoire affreuse, c’est mon beau-frère, il est tombé dans une machine agricole.

MORTEZ - C’est horrible...

PRESKO - Il a été moissonné, lié... je serais bien resté un petit peu pour discuter avec vous.

MORTEZ - Vous savez, on n’y connaît pas grand-chose en machine agricole.

PRESKO - Ah, oui, je comprends vous êtes occupés.

MORTEZ - Oui, oui... occupés...

 

Mortez, la bouche pleine, peut à peine articuler ses phrases et prononce de temps en temps quelques mots indistincts. Presko lui répond comme s’il comprenait tout.

 

PRESKO - C’est dommage, mais Madame Thérèse, je pourrais peut-être redescendre à l’occasion.

MORTEZ - Voilà, c’est ça, redescendez plutôt à ce moment-là, Mon­sieur Preskovich, on sera plus détendus, plus relax, si ça se trouve on sera même pas là...

PRESKO - Je redescends à l’occasion, au revoir Monsieur Mortez.

 

Presko sort et Mortez se précipite pour cracher son chocolat.

 

MORTEZ - Vous voulez cracher Thérèse?

THÉRÈSE - Non, je le mange quand même car c’est offert de bon cœur.

MORTEZ - Vous êtes une sainte Thérèse. Monsieur Preskovich, merci beaucoup ! Poubelle immédiatement...

 

Thérèse décroche le téléphone, pour vérifier que l’homme est toujours en ligne.

 

THÉRÈSE - Est-ce qu’il est encore là, celui-là ?

L’HOMME - C’est bon... C’est bon... j’en ai plein les couilles... prépare-toi grosse salope...

 

Mortez raccroche le combiné que Thérèse a laissé tomber...

 

MORTEZ - Ah!

 

On sonne à la porte.

 

Josiane Balasko, Le Père Noël est une ordure, Actes Sud, 1986