L’automobile dans notre société
Dans
une synthèse objective, ordonnée et concise, vous confronterez les
quatre documents. Puis, dans une brève conclusion personnelle, vous
exposerez votre propre point de vue sur la question. Documents joints :
Je crois que l'automobile est aujourd'hui l'équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d'époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie en elle un objet parfaitement magique. La
nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se
présente d'abord comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que
l'objet est le meilleur messager de la surnature : il y a facilement dans
l'objet à la fois une perfection et une absence d'origine, une clôture
et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière
est bien plus magique que la vie), et pour tout dire un silence qui
appartient à l'ordre du merveilleux. La "Déesse" a tous les
caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter
unanimement) d'un de ces objets descendus d'un autre univers, qui ont
alimenté la néomanie du XVIIIème et celle de notre
science-fiction : la Déesse est d'abord un nouveau Nautilus. (...) Il se peut que la Déesse marque un changement dans la mythologie automobile. Jusqu'à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la puissance ; elle devient ici plus spirituelle et plus objective, et malgré certaines complaisances néomaniaques (comme le volant vide), la voici plus "ménagère", mieux accordée à cette sublimation de l'ustensile que l'on retrouve dans nos arts ménagers contemporains : le tableau de bord ressemble davantage à l'établi d'une cuisine moderne qu'à la centrale d'une usine : les minces volets de tôle mate, ondulée, les petits leviers à boule blanche, les voyants très simples, la discrétion même de la nickelerie, tout cela signifie une sorte de contrôle exercé sur le mouvement, conçu désormais comme confort plus que comme performance. On passe visiblement d'une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la conduite. Il
semble que le public ait admirablement deviné la nouveauté des thèmes
qu'on lui propose : d'abord sensible au néologisme (toute une campagne de
presse le tenait en alerte depuis des années), il s'efforce très vite de
réintégrer une conduite d'adaptation et d'ustensilité ("Faut s'y
habituer"). Dans les halls d'exposition, la voiture témoin est visitée
avec une application intense, amoureuse : c'est la grande phase tactile de
la découverte, le moment où le merveilleux visuel va subir l'assaut
raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous
les sens au contraire de la vue, qui est le plus magique) : les tôles,
les joints sont touchés, les rembourrages palpés, les sièges essayés,
les portes caressées, les coussins pelotés ; devant le volant on mime la
conduite avec tout le corps. L'objet est ici totalement prostitué,
approprié : partie du ciel de Métropolis, la Déesse est en un quart
d'heure médiatisée, accomplissant dans cet exorcisme, le mouvement même
de la promotion petite-bourgeoise.
Roland
BARTHES, Mythologies
(1954), La nouvelle Citroën (La D.S. 19), Le Seuil
M. Jean Broncard (Peugeot) : "Ce Salon fut réconfortant par la préoccupation de s'informer en vue de renouveler ou d'acheter une voiture. Dans l'ensemble, on sent un intérêt nouveau pour l'automobile. Après deux ans de purgatoire, on constate une certaine reprise ; il n'y aura peut-être pas de retombées immédiates mais on peut espérer un démarrage au début ou au printemps 1976". M. Jean-Pierre Texier (Mercedes-France) : "C'est un fait que le client pose des questions précises, se renseigne et fait preuve d'une connaissance technique qui n'apparaissait pas toujours auparavant." M. Césari (Fiat-France) : "On attend depuis deux ans le renouvellement différé en raison de la crise du pétrole. C'est au niveau des concessionnaires que l'on sent cette reprise et c'est sans doute le meilleur signe. Les ventes de septembre devraient se situer à 5 ou 6 % au-dessus du niveau de 1974 ; venant après la progression des deux mois antérieurs, c'est une confirmation encourageante. La demande est incontestablement supérieure, au point que nous manquons de voitures, si bien que l'on ne connaît pas notre limite". M. Michel Rolland (Renault) : "Une certaine reprise est indéniable après deux ans difficiles. Le record d'entrées battu traduit un regain d'intérêt réconfortant. Même si nous nous gardons d'en tirer les conclusions définitives, les contacts auxquels nous attachons beaucoup d'importance ont révélé que la clientèle était beaucoup plus motivée. (…)
Une
nouvelle année automobile commence, la troisième depuis que la crise du
pétrole a ébranlé le monde. Année médiocre, si l'on s'en tient aux
chiffres de la production et des ventes de véhicules neufs. Année
brillante, si l'on considère les nombreuses nouveautés présentées au
Salon par les constructeurs. Bien que confrontés à une conjoncture délicate,
les dirigeants de l'industrie automobile française ont joué la carte du
dynamisme et de la création, assumant ainsi leurs responsabilités de
chefs d'entreprise et d'agents du progrès. La
situation dans le secteur automobile n'en demeure pas moins préoccupante.
Les majorations importantes des tarifs ont contribué à ralentir les
mouvements de vente tant à l'intérieur qu'à l'extérieur et ont eu pour
effet de consolider en France la position de certains importateurs dont
les modèles bénéficient de prix compétitifs. La nécessité d'une
relance se fait donc de plus en plus sentir et l'on est en droit de s'étonner
que le Gouvernement n'ait pas attribué une place plus importante à
l'automobile dans son récent plan de soutien à l'économie. Le moment
semblerait pourtant venu de redonner de l'élan au marché, non seulement
en facilitant le crédit, mais surtout en décidant de ramener la T.V.A.
du taux aberrant de 33 % au taux initialement prévu de 20 % ; en fait l'État
donne l'impression d'avoir les plus grandes difficultés à dessiner les
contours d'une politique automobile, aussi bien à l'égard des
constructeurs que des usagers. Ces derniers sentent - clairement ou confusément
- que l'automobile n'a pas dans la nation et la cité la place qui devrait
lui revenir en échange des services considérables qu'elle rend sur les
plans économiques, social et fiscal. (...
) On peut se demander où conduit une action qui n'est manifestement liée
à aucun grand dessein. À moins que le refus d'élaborer une politique de
l'automobile ne dissimule l'intention de réduire au fil du temps sa place
dans notre société. Il existe, nous le savons, des planificateurs et des
collectivistes qui ne seraient peut-être pas mécontents de voir
renverser la notion de liberté individuelle liée à la voiture privée
au profit des transports en commun.
Déclaration
de M. de Waresquiel
dans le journal L’Action (octobre 1975)
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