Que faire face à la drogue

 

Documents joints

  • Document 1 : Charles Baudelaire, « Du vin et du haschisch », paru dans le Messager de l’Assemblée, 1851.

  • Document 2 : Bernard Poulet, « Prohibition : le droit à l'envers ? » paru  dans L’Événement du Jeudi, 7-13 septembre 1989.

  • Document 3 : Dr. Francis Curtet, psychiatre, « Drogue légalisée, mort  autorisée », propos recueillis par Claude-Marie Trémois, Télérama, n° 2092, février 1990.

  • Document 4: J.-F. Collinot, « Les Douze ouvrent le dossier drogue », Les Clés de l’actualité, n° 60, juin 1993.

  • Document 5 : Dessin de Hin paru dans Télérama au début des années 1980.

DOCUMENT 1

     Du vin et du haschisch

 

Jamais un état raisonnable ne pourrait subsister avec l'usage du haschisch Cela ne fait ni des guerriers ni des citoyens. En effet, il est défendu à l'homme, sous peine de déchéance et de mort intellectuelle, de déranger les conditions primordiales de son existence, et de rompre l'équilibre de ses facultés avec les milieux. S'il existait un gouvernement qui eût intérêt à corrompre ses gouvernés, il n’aurait qu’à encourager l'usage du haschisch

 

On dit que cette substance ne cause aucun mal physique. Cela est vrai, jusqu’à présent du moins. Car je ne sais pas jusqu'à quel point on peut dire qu’un homme qui ne ferait que rêver et serait incapable d'action se porterait bien, quand même tous ses membres seraient en bon état. Mais c'est la volonté qui est attaquée, et c'est l'organe le plus précieux. Jamais un homme qui peut, avec une cuillerée de confitures, se procurer instantanément tous les biens du ciel et de la terre, n'en acquerra la millième partie par le travail. Il faut avant tout vivre et travailler.

 

L’idée m’est venue de parler du vin et du haschisch dans le même article, parce qu'en effet il y a en eux quelque chose de commun : le développement poétique excessif de l'homme. Le goût frénétique de l'homme pour toutes les substances, saines ou dangereuses, qui exaltent sa personnalité, témoigne de sa grandeur. Il aspire toujours à réchauffer ses espérances et à s'élever vers l'infini. Mais il faut voir le résultat. Voici une liqueur qui active la digestion, fortifie les muscles, et enrichit le sang. Prise en grande quantité même, elle ne cause que des désordres    assez courts. Voilà une substance qui interrompt les fonctions digestives, qui affaiblit les membres et qui peut causer une ivresse de vingt-quatre heures. Le vin est un support physique, le haschisch est une arme pour le    suicide. Le vin rend bon et sociable. Le haschisch est isolant. L’un est laborieux pour ainsi dire, l'autre essentiellement paresseux. À quoi bon, en effet, travailler, labourer, écrire, fabriquer quoi que soit, quand on peut emporter le paradis d'un seul coup ? Enfin, le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite d'en boire. Le haschisch appartient à la classe des joies solitaires ; il est fait pour les misérables oisifs. Le vin est utile, il produit des résultats fructifiants. Le haschisch est inutile et dangereux.

 

Charles Baudelaire, Le Messager de l’Assemblée, 1851.

 

DOCUMENT 2

     Prohibition : le droit à l’envers ?

 

En France, la dénonciation des effets pervers de la prohibition  est un sujet tabou. Ce qui donne la mesure de l'audace des très austères éditions Dalloz, qui viennent de sortir un surprenant Droit de la drogue. Avec le sérieux d'un président de Cour de cassation à la retraite, le professeur Francis Caballero (1) y recense tout ce qu'il faut savoir sur le sujet.

 

Mais surtout il y dénonce le « fiasco » de la prohibition qui a  abouti à « la création d'un monopole criminel de la distribution des  stupéfiants. Un marché considérable qui assure au crime organisé un  pactole inépuisable [...], si bien qu'en définitive et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la prohibition est l'alliée objective du trafic. Elle  suscite un deuxième effet pervers, souligne-t-il, en conduisant à une augmentation considérable de la criminalité et de la délinquance. »

 

Prudent et raisonnable, Francis Caballero ne prône pas une  législation sauvage de toutes les drogues, mais il ne peut s'empêcher de  constater que « le système bancaire est contaminé par le recyclage de  l'argent du trafic ; le coût budgétaire de la lutte anti-drogue augmente  sans cesse ; la police et les douanes sont incapables d'arrêter plus de 10 % des drogues en circulation ; les prisons se remplissent alors que l'offre ne cesse de croître » et des gouvernements entiers sont corrompus. Il souhaite  donc l'organisation de ce qu’il appelle un « commerce passif », l'alignement  sur le statut du tabac ou de l'alcool, aboutissant à un monopole national de production, d'importation et de distribution pour chaque catégorie de produits, qu'il faudrait d'ailleurs bien mieux distinguer car « la » drogue n’existe pas: il n'y a pas grand-chose de commun entre la marijuana  et l'héroïne.

 

(1) Francis Caballero est avocat pénaliste, spécialiste du droit de la drogue.

 

Bernard Poulet, L’Événement du jeudi, 7-13 septembre 1989.

 

DOCUMENT 3

     Drogue légalisée, mort autorisée

 

Ce n'est pas un hasard si le discours tenu sur la légalisation de la drogue coïncide avec l'apparition du sida. On espère éviter ainsi le partage des seringues. Mais, ce faisant, on lutte contre une maladie en favorisant un autre phénomène non moins meurtrier. Car la légalisation de la drogue fera peut-être mal aux narcotrafiquants - mais sûrement plus mal encore aux toxicos.

  1. Pour anéantir le marché clandestin, il faudra légaliser toutes les drogues, sans exception : cannabis, opium, héroïne, cocaïne, mais aussi crack, ecstasy, ice... En somme, mettre le poison à la portée de toutes les bourses. Naturellement, il faudrait aussi autoriser la drogue  aux mineurs.

  2. L’appel au secours exprimé par la prise de drogue serait définitivement méprisé : « Droguez-vous, nous ferons le reste. » Le reste, c'est  la maîtrise et le contrôle des marginaux dans une clochardisation à vie  dont s'enorgueillit curieusement la municipalité d'Amsterdam.

  3. Si nos coutumes permettent à la plupart d'entre nous d'user de l'alcool sans en abuser, comme les Asiatiques peuvent user de l'opium, il ne faut pas oublier qu'aucun Occidental ne peut prétendre maîtriser des  drogues « dures » caractéristiques de cultures fondamentalement différentes.

  4. Qu’est-ce qu’un toxico ? Quelqu’un qui souffre psychologiquement. Sa prise de produit signifie que l'existence que nous lui préparons, nous adultes, ne l'intéresse pas. Il veut à la fois fuir une réalité qu'il ne  supporte pas, et lancer un défi à la société. Alors, si on lui supprime le risque et la transgression des interdits, il se tournera vers d'autres formes de violence : suicide, conduite à contresens sur les autoroutes, etc. En 1971, quand la French Connexion a été démantelée, le nombre d'héroïnomanes a baissé, mais les suicides ont augmenté dans la même proportion.

  5. Enfin, si l'État devient dealer et le soignant distributeur de mort, comment espérer encore cette étincelle de confiance qui permet  au toxico de trouver quelqu’un à qui parler de tout ce qu’il avait préféré taire et fuir dans la drogue ?

Réduire le problème de la drogue à l'offre, c'est oublier l'essentiel : la demande. Beaucoup de jeunes disent « non » aux dealers. Ce sont ceux qui disent « oui » qui font problème. Les 9/10 de ceux qui fument un joint  le font par curiosité et, si les parents ne dramatisent pas, ils s'arrêtent. Mais ceux qui prennent de l’héroïne, c'est qu'ils sont mal. Ils savent qu’ils risquent le sida, la prison... La vie, pour eux, ne vaut pas la peine  d'être vécue. Pour qu’elle ait un peu de prix, il leur faut sans cesse frôler  la mort. Comme James Dean dans La Fureur de Vivre.

 

Notre boulot, à nous, thérapeutes, c'est de leur dire: « La drogue  ne résout rien. Elle mène à une impasse. S'il y a des choses qui ne vont  pas dans votre vie, il existe des gens avec qui parler, pour vous aider à  trouver des issues possibles. »

 

Mais on ne peut pas à la fois donner aux jeunes un poison qui ne résout rien et leur demander de nous faire confiance. Même pendant  la désintoxication, si nous leur donnons de la drogue à doses dégressives, nous ne sommes plus que des dealers légaux. Et ils n'auront pas envie de parler avec nous, car c'est exactement comme si on leur disait : « Votre douleur ne nous intéresse pas. » C'est l'attitude des parents qui se débarrassent d'un enfant à problèmes avec un billet de 500 F.

 

Cette tendance à la législation survient aussi à un moment où certains pays, comme les États-Unis, connaissent un échec complet dans leur lutte contre la toxicomanie.

 

Pourtant, je crois qu'on peut encore gagner la bataille : 1) en luttant contre le blanchiment de l'argent; 2) en aidant les pays du tiers monde à retrouver dignité et autonomie (leur misère fait la richesse des marchands d'armes et de drogues) ; 3) en développant la prévention.

 

La prévention, c'est informer les magistrats, les médecins, les enseignants ; créer des réseaux de solidarité dans les communes ; concevoir des émissions pour le grand public. Mais on ne peut plus se permettre de laisser la responsabilité de ces émissions à des gens pleins de bonne volonté mais incompétents. Il ne viendrait à l'idée de personne de confier la prévention du cancer à Rika Zaraï...

 

Francis Curtet, propos recueillis par Claude-Marie Trémois, Télérama, n° 2092, 1990.

 

DOCUMENT 4

     Les Douze ouvrent le dossier drogue

 

Une première étape dans la création d'une police européenne (Europol), qui devait voir le jour en juillet prochain, vient d'être franchie. Le 2 juin dernier, les douze pays de la Communauté économique européenne (CEE) se sont réunis à Copenhague (Danemark) pour signer un accord sur l'«Unité européenne des drogues » (UED).

 

Sa mission : favoriser la coopération entre les polices des différents États membres, et éviter que des criminels ne profitent de l'ouverture des frontières pour échapper à la justice de leurs pays, en allant se réfugier chez le voisin. En tête des préoccupations : la drogue. Mais il est, et sera, difficile de trouver les moyens de cette coopération puisque chaque État a sa propre analyse du phénomène.

 

Ainsi, l'Espagne, l'Italie ou la Hollande considèrent les toxicomanes comme des « malades », nécessitant un traitement médical. De leur côté, la France, la Belgique ou l'Irlande considèrent les toxicomanes comme des délinquants, méritant d'aller en prison.

 

Sur les drogues elles-mêmes, les avis divergent ! Ainsi, l'Espagne, l'Italie ou la Hollande font la distinction entre les dérivés du cannabis (haschisch, résine, herbe ... ), considérés comme drogues « douces » (ne provoquant pas d'accoutumance) - la Hollande autorise même leur vente libre dans les Coffee Shop... - et les drogues dites « dures » héroïne, cocaïne...

 

À l'inverse, en France, la simple détention d'un morceau de « hasch » est passible d'une peine de prison de deux mois... Du coup, nombre de consommateurs français vont aux Pays-Bas acheter leur drogue en toute légalité.

 

Ces disparités, dont on pourrait multiplier à l'infini les exemples, tiennent à l'histoire, la religion, la mentalité... Ainsi, en Angleterre, le trafic de l'opium fait l’objet d'une législation à part et très sévère (perpétuité).

 

Ce pays se souvient en effet des ravages que cette drogue provoquait du temps de ses colonies en Chine ou en Inde.

 

En Irlande, C'est la rigidité catholique qui impose une législation des plus sévères. En Hollande, pays de commerçants et de ports internationaux, le respect des différences conduit à une plus grande tolérance...

 

Mais ce qu'il faut se demander, c'est si l'une ou l'autre de ces expériences peut servir de modèle et pourrait être appliquée à toute la Communauté. Là encore, on se heurte à des contradictions énormes. Ainsi, les Pays-Bas, qui sont qualifiés de « laxistes » par Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur français, ont pourtant vu le nombre de leurs toxicomanes baisser sensiblement (à Amsterdam, la capitale, il est passé de 8 000 à 6 000 en dix ans). Alors qu'en Espagne, qui avait adopté la même politique de tolérance, on a vu pour la même période le nombre des héroïnomanes multiplié par sept !

Empêtrée dans ces divergences, Europol risque donc de se voir sérieusement paralysée dans ses actions. Et l'on voit mal sur quelle base pourrait s'établir une législation commune. C'est d'ailleurs ce constat qui a amené à reporter à « plus tard » l'ouverture des frontières en Europe. Une mesure qui devrait initialement entrer en vigueur au 1er janvier de cette année.

 

J.-R Collinot, Les Clés de l'actualité, n° 60, juin 1993.

 

DOCUMENT 5

     Dessin de Hin

Dessin de Hin, paru dans Télérama au début des années 1980.

 

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