Les
rapports hommes – femmes
Dans
une synthèse objective, ordonnée et concise, vous confronterez les cinq
documents suivants en étudiant comment les notions d'égalité et de différence
déterminent les relations entre les hommes et les femmes. Puis, dans une
brève conclusion personnelle, vous exposerez votre propre point de vue
sur la question.
Documents
joints :
Cultiver dans les femmes les qualités de l'homme, et négliger celles qui leur sont propres, c'est donc visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le voient trop bien pour en être les dupes ; en tâchant d'usurper nos avantages, elles n'abandonnent pas les leurs ; mais il arrive de là que, ne pouvant bien ménager les uns et les autres parce qu’ils sont incompatibles, elles restent au-dessous de leur portée sans se mettre à la nôtre, et perdent la moitié de leur prix. Croyez-moi, mère judicieuse, ne faites point de votre fille un honnête homme, comme pour donner un démenti à la nature ; faites-en une honnête femme et soyez sûre qu'elle en vaudra mieux pour elle et pour nous.
S'ensuit-il
qu'elle doive être élevée dans l'ignorance de toute chose, et bornée
aux seules fonctions du ménage ? L’homme fera-t-il sa servante de sa
compagne ? Se privera-t-il auprès d'elle du plus grand charme de la société
? Pour mieux l'asservir l'empêchera-t-il de rien sentir, de rien connaître
? En fera-t-il un véritable automate ? Non, sans doute ; ainsi ne l'a pas
dit la nature, qui donne aux femmes un esprit si agréable et si délié ;
au contraire, elle veut qu'elles pensent, qu'elles jugent, qu'elles
aiment, qu'elles connaissent, qu'elles cultivent leur esprit comme leur
figure ; ce sont les armes qu'elle leur donne pour suppléer à la force
qui leur manque et pour diriger la nôtre. Elles doivent apprendre
beaucoup de choses, mais seulement celles qu'il leur convient de savoir.
[...]
De
la bonne constitution des mères dépend d'abord celle des enfants ; du
soin des femmes dépend la première éducation des hommes ; des femmes dépendent
encore leurs mœurs, leurs passions, leurs goûts, leurs plaisirs, leur
bonheur même. Ainsi toute l'éducation des femmes doit être relative aux
hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d'eux,
les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur
rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous
les temps, et ce qu'on doit leur apprendre dès leur enfance. Tant qu’on
ne remontera pas à ce principe, on s'écartera du but, et tous les préceptes
qu'on leur donnera ne serviront de rien pour leur bonheur ni pour le nôtre.
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, livre V, 1762 .
Saint-Pétersbourg,
1808.
Tu
me demandes donc, ma chère enfant, après avoir lu mon sermon sur la
science des femmes, d'où vient qu’elles sont condamnées à la médiocrité
? Tu me demandes en cela la raison d'une chose qui n'existe pas et que je
n'ai jamais dite. Les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité;
elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin.
Chaque être doit se tenir à sa place, et ne pas affecter d'autres
perfections que celles qui lui appartiennent. [...] L’erreur de
certaines femmes est d'imaginer que, pour être distinguées, elles
doivent l'être à la manière des hommes, il n’y a rien de plus faux.
Je
t'ai fait voir ce que cela vaut. Si une belle dame m'avait demandé, il y
a vingt ans : « Ne croyez-vous pas, monsieur, qu'une dame pourrait être
un grand général comme un homme ? » je n'aurais pas manqué de lui répondre
: « Sans doute, madame. Si vous commandiez une armée, l'ennemi se
jetterait à vos genoux, comme j'y suis moi- même ; personne n'oserait
tirer, et vous entreriez dans la capitale ennemie au son des violons et
des tambourins. » Si elle m'avait dit : « Qui m'empêche d'en savoir en
astronomie autant que Newton ? » je lui aurais répondu tout aussi sincèrement:
« Rien du tout, ma divine beauté. Prenez le télescope, les astres
tiendront à grand honneur d'être lorgnés par vos beaux yeux, et ils
s'empresseront de vous dire tous leurs secrets. » Voilà comment on parle
aux femmes, en vers et même en prose. Mais celle qui prend cela comme
argent comptant est bien sotte... Le mérite de la femme est de régler sa
maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l'encourager, et d'élever
ses enfants, c'est-à-dire des hommes... Au reste, ma chère enfant, il ne
faut rien exagérer : je crois que les femmes, en général, ne doivent
point se livrer à des connaissances qui contrarient leurs devoirs : mais
je suis fort éloigné de croire qu'elles doivent être parfaitement
ignorantes. Je ne veux pas qu’elles croient que Pékin est en France, ni
qu’Alexandre le Grand demanda en mariage la fille de Louis XIV. La belle
littérature, les moralistes, les grands orateurs, etc. suffisent pour
donner aux femmes toute la culture dont elles ont besoin.
Quand
tu parles de l'éducation des femmes qui éteint le génie, tu ne fais pas
attention que ce n’est pas l'éducation qui produit la faiblesse, mais
que c'est la faiblesse qui souffre cette éducation. S'il y avait un pays
d'amazones qui se procurassent une colonie de petits garçons pour les élever
comme on élève les femmes, bientôt les hommes prendraient la première
place, et donneraient le fouet aux amazones. En un mot, la femme ne peut
être supérieure que comme femme mais dès qu'elle veut émuler l'homme,
ce n'est qu’un singe.
Joseph De Maistre, Lettre à sa fille, 1808.
La
relation homme / femme s'inscrit dans un système général de pouvoir,
qui commande le rapport des hommes entre eux. Cela explique qu'à
l'origine, les premiers coups portés contre le patriarcat le furent par
les hommes et non par les femmes. Avant de penser à ruiner le pouvoir
familial du père, il fallait d'abord abattre le pouvoir politique absolu
du souverain et saper ses fondements religieux. Telle est l'évolution que
connaissent toutes les sociétés occidentales à travers révolutions et
réformes, et cela jusqu’au XXème siècle. Mais, si les
hommes eurent à cœur de construire une nouvelle société fondée sur l'égalité
et la liberté, leur projet, d'abord politique puis économique et social,
ne concernait qu'eux- mêmes, puisqu’ils s'en voulaient les seuls bénéficiaires.
Les
hommes ont lutté pour l'obtention de droits dont ils prirent soin
d'exclure les femmes. Quel besoin avaient-elles de voter, d’être
instruites ou d'être protégées, à l'égal des hommes, sur leurs lieux
de travail ? L’égalité s'arrêtait aux frontières du sexe, car, si la
plupart des hommes cherchaient à se débarrasser du patriarcat politique,
ils voulaient à tout prix maintenir le patriarcat familial. D'où
l'avertissement constamment répété, au XIXème siècle, par
les conservateurs et l'Église : en luttant pour plus de liberté et d'égalité,
vous portez atteinte à la puissance paternelle et vous sapez les
fondements de la famille...
Le
combat mené pendant deux siècles par les démocrates fut sans conteste
la cause première de la chute du système patriarcal. Mais il n’en fut
pas la raison suffisante. Ce sont les femmes, alliées aux plus justes
d'entre eux, qui achevèrent péniblement le travail. Il leur fallut
presque deux siècles pour faire admettre à leurs pères et époux
qu’elles étaient des « Hommes » comme tout le monde : les mêmes
droits devaient s'appliquer à leurs compagnons et à elles-mêmes, ils
devaient partager ensemble les mêmes devoirs. L’évidence
enfin reconnue est lourde de conséquences. Non seulement parce qu’elle
met fin à un rapport de pouvoir entre les sexes plusieurs fois millénaire,
mais surtout parce qu’elle inaugure une nouvelle donne, qui oblige à
repenser la spécificité de chacun. Les valeurs démocratiques furent
fatales au roi, à Dieu-le-père et au Père-Dieu. Elles rendirent par là
même caduques les définitions traditionnelles des deux sexes et n’ont
pas fini de laisser perplexe et d'inquiéter une partie du monde. [...]
Le
XXème siècle a mis fin au principe d'inégalité qui présidait
aux rapports entre les hommes et les femmes. Il a clos, en Occident, une
longue étape de l'humanité commencée il y a plus de 4 000 ans. Il est
probable que les hommes se seraient mieux accommodés de l'égalité dans
la différence, c'est-à-dire du retour à l'authentique complémentarité
des rôles et des fonctions. Malheureusement pour eux, l'expérience de
nos sociétés prouve que la complémentarité est rarement synonyme d'égalité
et que la différence se transforme vite en asymétrie. L’époque
n’est plus à la séparation primitive des sexes, mais au contraire au
partage de tout par Elle et Lui.
Élisabeth Badinter, L'un est l’autre, Odile Jacob, 1986.
Alors,
vous êtes contentes maintenant ?
Contentes,
non. Heureuses, oui. Pas par triomphalisme idiot :
ce n’était pas une guerre, juste une révolution. Mais heureuses
parce que enfin les femmes
ont l'air de plutôt bien vivre dans leur peau. Les
grands-mères qui ont subi, les filles qui ont lutté, les
petites-filles qui dévorent leur liberté neuve comme un gâteau offert,
sans savoir ce qu’elle a coûté, sans l'avoir méritée, toutes se
retrouvent d'accord sur une image d'elles-mêmes
complètement nouvelle. Vous voulez voir ? Balayez
d'abord toutes les idées reçues, prenez bien votre souffle. À la
question : « Que faut-il
pour qu’une femme puisse réussir sa vie ? », elles répondent à une
écrasante majorité, qu’elles aient 15 ou 55 ans : d'abord, un métier.
Ensuite, peut-être un bébé. Et l'homme ? Eh bien non, pour 82 %
d'entre elles, l'homme au quotidien n’est plus indispensable. «
Il peut être charmant, agréable, précieux compagnon, écrit Françoise
Giroud, il n’est plus le
pilier autour duquel on s'enroule. » Pour elles, « la grande rupture
est consommée » avec les modèles féminins classiques, désormais
périmés. En d'autres temps,
nos compagnons, pauvres piliers dénudés, auraient
déclaré la guerre des sexes. Aujourd'hui, mal informés, ils se
contentent de nous faire
payer, au prix fort, nos nouvelles libertés.
Payons
sans discuter. D'accord, c'est cher : dans le monde du
travail, la trilogie bébé-bobo-boulot, les hommes l'ignorent.
Pour bosser, pour s'imposer,
pour « marketer » comme tout le monde, les femmes
doivent mettre les bouchées doubles. Mais le jeu en vaut la
chandelle. Car il faut encore consolider cet édifice fragile, doublement
menacé : un choc en retour
contre la liberté de l'avortement s'annonce, là où on croyait le problème
réglé, comme aux États-Unis ou dans les pays de l'Est. Et le fossé se
creuse de plus en plus entre notre enclave occidentale privilégiée et le
reste du monde, où le statut des femmes régresse à vive allure.
On
ne vous demandera pas de prendre en charge tous les malheurs de celles
qu’on excise, de celles qu’on voile, de celles qu’on achète et
qu'on vend, qu'on humilie et qu’on méprise. Mais si vous saviez ce que
représente pour elles - du moins certaines d'entre elles - le fait de
savoir que quelque part, ailleurs, on peut être une femme, et libre ! Après
tout, pourquoi la liberté ne serait-elle pas aussi contagieuse que le
fanatisme ou l'intolérance ? Dans notre univers de communication, comment
nier l'importance des modèles, des mots, des images ? Le féminisme,
l'histoire le montre, n'apparaît que dans les sociétés qui commencent
à se démocratiser. Tout le monde le sait. Sauf ces hommes qui ne voient
pas qu’en jouant les oppresseurs ils se maintiennent, eux-mêmes, en
situation d'opprimés.
Autant
dire que nous avons remporté une victoire, mais pas la guerre.
Heureusement pour nous ! Car enfin, la guerre contre qui ? Les hommes ? Mais nous les aimons, les hommes ! Nous les
voulons ! Pourquoi croyez-vous que nous cédons aux folies des régimes
amaigrissants ? Que nous bravons douloureusement les lois de la pesanteur
et du bon sens, en relevant le menton et en rentrant le ventre dès que se
promène un regard masculin ? Pourquoi... Inutile d'énumérer nos
faiblesses et de nous découvrir
trop. Il s'agit de séduire, bien sûr. Je vous entends d'ici ricaner :
narcissisme. Pas du tout. Il faut vous séduire pour vous ras-su-rer.
Nostra culpa ! Nous vous avions fait peur en proclamant bêtement : « Une
femme est un homme comme les autres. » Aujourd'hui, même les biologistes
nous affirment que non.
Alors
nous l'acceptons, nous l'assumons, nous la chérissons, notre petite différence.
Puisqu'elle n’implique plus ni hiérarchie ni inégalité. Puisque c'est
elle, nous dit-on, qui seule explique la pulsion amoureuse. Avions-nous
besoin vraiment pour le savoir de toutes ces démonstrations scientifiques
? Non, mais cela rassure. Car si nous lissons si bien nos plumages et nos
ramages, ces temps-ci, c'est que nous sommes inquiètes nous aussi. Nous
les avions un peu perdus de vue, les hommes. On nous menaçait du règne
de l'androgyne. Pourtant, nous ne demandons pas la lune: « La
liberté, encore la liberté » de Lou Andreas-Salomé. Avec
l'amour en plus. Et la passion en prime.
Josette Alia, « Alors, heureuses ? », Le Nouvel Observateur, 6 -12 décembre 1990.
Sempé, dessin tiré du recueil Un léger décalage, 1977 |