La reine — (...) Laërtes, votre sœur s'est noyée.

Laërtes — Noyée ! Oh ! où donc ?

La reine — Un saule se penche sur la rivière, qui mire dans le courant vitreux ses feuilles grises ; c'est là qu'elle est venue, portant de bizarres guirlandes de renoncule, d'orties blanches, de pâquerettes et de ses digitales pourprées auxquelles nos bergers libertins donnent un vilain nom mais que nos chastes filles appellent doigts de morts. Vers les rameaux inclinés, elle se haussait pour y suspendre ses couronnes ; la branche où elle prenait appui s'est brisée, lasse de ses trophées herbeux, et la laissant choir elle-même parmi les larmes de la rivière. Ses voiles d'abord s'étalèrent et la soutinrent quelques instants ; on aurait dit une sirène. Cependant elle chantait des bribes de vieux airs, inconsciente du péril ou pareille à quelque ondine qui retrouve son élément. Mais bientôt ses vêtements imbibés s'alourdirent et entraînèrent la malheureuse du chant mélodieux aux fanges de la mort.

 

William Shakespeare ( 1564 - 1616 ), Hamlet, extrait de la scène 7, acte IV

 

Version originale :

 

QUEEN GERTRUDE

(...) your sister's drown'd, Laertes.

 

LAERTES

Drown'd ! O, where ?

 

QUEEN GERTRUDE

There is a willow grows aslant a brook,

That shows his hoar leaves in the glassy stream;

There with fantastic garlands did she come

Of crow-flowers, nettles, daisies, and long purples

That liberal shepherds give a grosser name,

But our cold maids do dead men's fingers call them:

There, on the pendent boughs her coronet weeds

Clambering to hang, an envious sliver broke;

When down her weedy trophies and herself

Fell in the weeping brook. Her clothes spread wide;

And, mermaid-like, awhile they bore her up:

Which time she chanted snatches of old tunes;

As one incapable of her own distress,

Or like a creature native and indued

Unto that element: but long it could not be

Till that her garments, heavy with their drink,

Pull'd the poor wretch from her melodious lay

To muddy death. (...)

 

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