Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta: le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois, contre les dents. Lo. Lii. Ta.

Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolores sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita.

Une autre l'avait-elle précédée ? Oui, en fait oui. En vérité, il n'y aurait peut-être jamais eu de Lolita si, un été, je n'avais aimé au préalable une certaine enfant. Dans une principauté au bord de la mer. Quand était-ce ? Environ autant d'années avant la naissance de Lolita que j'en comptais cet été-là. Vous pouvez faire confiance à un meurtrier pour avoir une prose alambiquée.

Mesdames et messieurs les jurés, la pièce à conviction numéro un est cela même que convoitaient les séraphins, ces êtres ignares, simplistes, aux ailes altières. Voyez cet entrelacs d'épines.[…]

 

Vladimir Nabokov (1899 - 1977), Lolita, 1955

 

(Version originale qui permet d'apprécier les allitérations

Lolita, light of my life, fire of my loins. My sin, my soul Lo-lee-ta : the tip of the tongue taking a trip of three steps down the palate to tap, at three, on the teeth. Lo. Lee. Ta.

She was Lo, plain Lo, in the morning, standing four feet ten in one sock. She was Lola in slacks. She was Dolly at school. She was Dolores on the dotted line. But in my arm she was always Lolita.

Did she have a precursor ? She did, indeed she did. In point of fact, there might have been no Lolita at all had I not loved, one summer, a certain initial girl-child. In a princedom by the sea. Oh when ? About as many years before Lolita was born as my age was that summer. You can always count on a murderer for a fancy prose style.

Ladies and gentlemen of the jury, exhibit number one is what the seraphs, the misinformed, simple, noble-winged seraphs, envied. Look at this tangle of thorns.)

 

En savoir un peu plus sur Nabokov

 

Article de Télérama sur une émission traitant du "concept" lolita

 

Les lolitas, préados ou femmes fatales ?

 

Vamps avant l’heure

 

D'un côté, on a pu voir ces derniers temps à la télé une campagne contre les violences sexuelles sur les enfants. De l'autre, sur France 3, samedi 26 janvier, C'est mon choix posait une bien curieuse question : - Ma fille rêve de devenir une lolita, dois-je la laisser faire ? - Tiens, lolita, c'est un métier ? Telle qu'elle apparaissait ce jour-là sur le plateau, la  « lolita » est une très jeune fille (12, 14 ans) qui porte minijupe et décolleté profond, le tout lui donnant l'air non seulement sexy, mais bien plus âgée qu'elle n'est. Il y avait sur le plateau des « pro » et des « anti » lolitas, dont un garçon invité en tant qu'« amateur de lolitas » ... Ah, bon. Echange d'arguments : « Mais si elle se sent bien habillée comme ça ? » clamait la mère d'une fille de 13 ans, toute moulée de noir. «  Votre fille va avoir des ennuis dans la rue, elle n'est pas mûre, des hommes adultes la regardent qu'est-ce qu'elle fera s'ils l'abordent ? »  rétorquaient les autres. La même mère, d'une quarantaine d'années, déclarait au garçon de 16 ans: « Tu n'as qu'à sortir avec moi, tu verras que moi aussi je mets des minijupes… » Qui est le parent, qui est l'enfant ? A quoi joue-t-on ?

Une chose est sûre : le marché s'est emparé des pré-adolescentes. Elles constituent désormais un segment profitable : on va leur en vendre, de la minijupe « lolita », du maquillage spécial moins de 10 ans, de la chaussure à talon taille 35. Que cela tire la société entière vers un érotisme à tendance pédophile, une sexualisation des enfants qui ne leur laisse pas le temps de mûrir, peu importe, puisque « c'est leur choix ». Mais le choix de qui ?

 

Dominique Louise Pélegrin, Télérama n° 2717 – 6 février 2002

 

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