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L'Euro peut constituer un moyen pour l'Europe d'accroître son influence sur la scène mondiale

 

Jusqu'au 1er janvier 1999, les relations financières mondiales étaient largement dominées par le dollar, utilisé dans 50% des transactions commerciales internationales et 80% des opérations sur les marchés des changes.

 

Il existait ainsi une disproportion réelle entre le rôle commercial des États-Unis, qui représentent un peu moins de 18% des exportations mondiales, et l'influence du dollar sur la scène monétaire internationale.

 

Un tel déséquilibre n'a pas favorisé la stabilité du système monétaire international. En effet, la faible sensibilité des États Unis à l'inflation importée ne fait pas des variations du cours de leur monnaie leur préoccupation essentielle.

 

Ce n'est pas là une critique à l'égard des autorités américaines, mais tout simplement une conséquence inévitable du rôle prépondérant joué, en pratique, par le billet vert. Comme le disait un ancien Secrétaire au Trésor, James Connolly, « le dollar est notre monnaie, mais c'est votre problème ». Cette politique, qualifiée parfois de «douce négligence », n'en a pas moins un impact réel sur le système monétaire international et les Européens n'ont pas été les seuls à en souffrir.

 

L'arrivée de l'Euro change la donne.

 

Le rééquilibrage entre le poids relatif, au sein du Système Monétaire International, des différentes monnaies et des zones commerciales qu'elles représentent offre la possibilité de développer davantage la coopération macro-économique et monétaire à l'échelle internationale. En effet, pour la première fois, tous les acteurs - et pas seulement les Européens - y ont intérêt, car aucun d'entre eux ne peut se permettre d'ignorer ce qui se passe chez ses principaux partenaires : la « douce négligence » n'est plus de mise, dans un contexte de rééquilibrage du SMI et d'interdépendance accrue dans les économies.

 

L'apparition de ce nouveau pôle monétaire et la relance de la coopération devraient avoir pour objectif la recherche d'une plus grande stabilité dans le système monétaire international. Tous les États de la planète en bénéficieraient.

 

Encore faut-il, pour cela, que l'Europe soit en mesure de définir sa position et de l'exprimer d'une seule voix au sein des instances financières et monétaires internationales, qu'elles soient informelles, comme le G7 des ministres des Finances, ou formelles, comme le Fonds Monétaire International.

 

A cette fin, le Conseil Européen de Vienne a arrêté, en décembre dernier, les modalités de la représentation de la zone Euro sur la scène monétaire internationale. Elle doit être assurée, sur une base tripartite, par le Conseil de l'Union Européenne, la Commission Européenne et la Banque Centrale Européenne. Il semble que nos amis américains contestent cette représentation et même la refusent. L'enjeu du débat est donc maintenant de nature politique. L'Europe peut -elle se laisser dicter par un pays tiers la manière dont elle a décidé d'exister et de s'exprimer sur scène internationale ?

 

Si tel était le cas, il s'agirait d'un précédent qui pourrait nettement affaiblir le rôle de l'Europe sur la scène internationale. En effet, les conséquences de la solution qui sera apportée à la représentation externe de l'Euro dépassent le seul domaine économique et financier. Avec l'Euro, les Européens font l'apprentissage de l'exercice en commun de l'un des grands attributs de la souveraineté. C'est un test grandeur nature pour préparer l'émergence d'une véritable politique étrangère et de sécurité commune, que les chefs d'état et de gouvernement appellent de leurs vœux. La nécessité se fait chaque jour sentir davantage. Les événements du Kosovo sont là pour nous le rappeler.

 

L'Europe est la première puissance économique et commerciale au monde. Elle est en train de devenir une grande puissance monétaire. Elle doit maintenant prendre son destin en main et se décider enfin à jouer un rôle diplomatique à la mesure de son poids, au-delà du seul octroi d'aides financières à des pays tiers.

 

Souvenez-vous de la Bosnie-Herzégovine, où les Européens ont financé intégralement la reconstruction de l'aéroport international de Sarajevo, mais où seuls les Américains ont été invités à son inauguration. Cette anecdote dispense de longs discours. Elle illustre le chemin à parcourir par l'Europe pour exister sur la scène internationale.

 

Dans ses maximes, le duc de Lévis adresse à ses lecteurs ce conseil : « le passé est soldé, le présent vous échappe, soyez à l'avenir ». Voilà un précepte d'actualité. L'Europe a su faire preuve d'une formidable détermination pour réussir le passage à l'Euro. Il lui appartient, aujourd'hui, d'en tirer toutes les conséquences, afin de réussir aussi son intégration économique et de prendre la place qui lui revient sur la scène internationale. La tâche est difficile, mais exaltante et le succès du lancement de l'union économique et monétaire nous enseigne que les optimistes ne sont pas nécessairement des rêveurs.

 

Je vous remercie de votre attention.

 

Forum « les Échos » - « l'Euro, enjeu stratégique pour l'Europe », Paris, jeudi 27 mai 1999