Alceste

 

1    Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode

     Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode;

     Et je ne hais rien tant que les contorsions

     De tous ces grands faiseurs de protestations (1),

5    Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,

     Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,

     Qui de civilités avec tous font combat,

     Et traitent du même air l'honnête homme et le fat (2).

     Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,

10  Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse.

     Et vous fasse de vous un éloge éclatant,

     Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant ?

     Non, non, il n'est point d'âme un peu bien située (3)

     Qui veuille d'une estime ainsi prostituée ;

15  Et la plus glorieuse a des régals peu chers,

     Dés qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers :

     Sur quelque préférence une estime se fonde,

     Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde.

     […]

 

     Philinte

 

20  Mon Dieu, des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,

     Et faisons un peu grâce à la nature humaine;

     Ne l'examinons point dans la grande rigueur,

     Et voyons ses défauts avec quelque douceur.

     Il faut, parmi le monde, une vertu traitable (4);

25  A force de sagesse, on peut être blâmable;

     La parfaite raison fuit toute extrémité,

     Et veut que l'on soit sage avec sobriété.

     Cette grande roideur (5) des vertus des vieux âges

     Heurte trop notre siècle et les communs usages;

30  Elle veut aux mortels trop de perfection :

     Il faut fléchir au temps (6) sans obstination;

     Et c'est une folie à nulle autre seconde

     De vouloir se mêler de corriger le monde.

     J'observe, comme vous, cent choses tous les jours,

35 Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours;

     Mais quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître,

     En courroux, comme vous, on ne me voit point être;

     Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,

     J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font;

40  Et je crois qu'à la cour, de même qu'à la ville,

     Mon flegme est philosophe (7) autant que votre bile.

 

      Molière (1622 - 1673), Le Misanthrope (1666), Acte I, scène 1 (extrait)

 

 

 

1Marques d’amitié

2Personnage vaniteux et stupide

3 Elevée

4 Accommodante

5 Raideur

6 S’adapter à son époque

7 Mon calme est digne d’un philosophe

 

 

 

 

 

 

Lecture (11 points)

 

1/ Que dénonce Alceste dans sa réplique ? que reproche-t-il aux mœurs de son temps ? (3 points)

2/ Expliquez les vers 13 et 14. (1 point)

3/ Philinte fait-il sur la société le même constat que son ami ? Justifiez votre réponse par des extraits de sa réplique. (3 points)

4/ Expliquez les vers 26 et 27. (1 point)

5/ Donnez une définition du verbe « souffrir » utilisé dans les vers 1 et 39. (1 point)

6/ Dans cette pièce, Molière utilise des normes de l’écriture poétique. Illustrez ce choix par 4 exemples précis. (2 points)

 

Écriture (9 points)

 

Vous écrivez une lettre à un ami. Vous lui expliquez qu’en une circonstance précise le fait d’avoir été sincère vous a desservi.

Votre texte doit avoir l’apparence d’une lettre et devra compter 25 lignes minimum.