Texte 1
«Il était aussi laid qu'on puisse le souhaiter, si tant est qu'on fasse des souhaits pour la laideur ; mais je ne suis pas le premier qui parle ainsi. Il avait la bouche de fort grande étendue, témoignant de vouloir parler de près à ses oreilles, qui étaient aussi de grande taille, témoins assurés de son bel esprit. Ses dents étaient posées alternativement sur ses gencives, comme les créneaux sur les murs d'un château. Sa langue était grosse et sèche comme une langue de bœuf ; encore pouvait-elle passer pour fumée, car elle essuyait tous les jours la valeur de six pipes de tabac. II avait les yeux petits et battus, quoiqu'ils fussent fort enfoncés, et vivants dans une grande retraite ; de nez fort camus*, le front éminent, les cheveux noirs et gras, la barbe rousse et sèche. Pour le peu qu'il avait de cou, ce n'est pas la peine d'en parler une épaule commandait à l'autre comme une montagne à une colline, et sa taille était aussi courte que son intelligence. En un mot sa physionomie avait toute sorte de mauvaises qualités, hormis qu'elle n'était pas menteuse. On le pouvait bien appeler vaillant des pieds jusqu'à la tête, car sa valeur paraissait en ses mâchoires et en ses talons.»
* Court et plat
Antoine Furetière, Le Roman bourgeois, 1666.
Texte 2
«Nous n'essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre*, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit oeil gauche obstrué d'un sourcil roux en broussailles tandis que l'œil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d'une forteresse, de cette lèvre calleuse** sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d'un éléphant, de ce menton fourchu, et surtout de la physionomie répandue sur tout cela, de ce mélange de malice, d'étonnement et de tristesse. Qu'on rêve, si l'on peut, cet ensemble. L'acclamation fut unanime. On se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c'est alors que la surprise et l'admiration furent à leur comble. La grimace était son visage. Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux ; entre les deux épaules une bosse énorme dont le contre-coup se disait sentir par devant ; un système de cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu'elles ne pouvaient se toucher que par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignaient par la poignée ; de larges pieds, des mains monstrueuses; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, d'agilité et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force, comme la beauté, résulte de l'harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner. On eût dit un géant brisé et mal ressoudé. Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carré par la base (...) la populace le reconnut sur-le-champ et s'écria d'une voix: - C'est Quasimodo, le sonneur de cloches !»
*Figure géométrique à quatre faces ** Fendue et dont une partie est saillante
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831.
Texte 3
«Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds*, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces** de circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules ; son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole ; son menton était droit, ses lèvres n'offraient aucunes sinuosités, et ses dents étaient blanches ; ses yeux avaient l'expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic ; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives; ses cheveux jaunâtres et grisonnants étaient blanc et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d'une plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout supportait une loupe veinée que le vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l'égoïsme d'un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l'avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière. Attitude, manières, démarche, tout en lui, d'ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l'habitude d'avoir toujours réussi dans ses entreprises. Aussi, quoique de mœurs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait-il un caractère de bronze. Toujours vêtu de la même manière, qui le voyait aujourd'hui le voyait tel qu'il était depuis 1791. Ses forts souliers se nouaient avec des cordons de cuir ; il portait, en tout temps des bas de laine drapés, une culotte courte de gros drap marron à boucles d'argent, un gilet de velours à raies alternativement jaunes et puces, boutonné carrément, un large habit marron à grands pans, une cravate noire et un chapeau de quaker. Ses gants, aussi solides que ceux des gendarmes, lui duraient vingt mois, et, pour les conserver propres, il les posait sur le bord de son chapeau â la même place, par un geste méthodique. Saumur*** ne savait rien de plus sur ce personnage.»
*Unité de mesure (1 pied = 33 cm) **Unité de mesure (1 pouce = 2,7 cm) *** Ville de Maine-et-Loire
Honoré de Balzac, Eugénie Grandet, 1833.
Texte 4
« La femme, une de celles appelées galantes, était célèbre pour son embonpoint précoce qui lui avait valu le surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses ; avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant appétissante et courue, tant sa fraîcheur faisait à voir. Sa figure était une pomme rouge, un bouton de pivoine prêt à fleurir ; et là-dedans s'ouvraient, en haut, deux yeux noirs magnifiques, ombragés de grands cils qui mettaient une ombre dedans ; en bas, une bouche charmante, étroite, humide pour le baiser, meublée de quenottes luisantes et microscopiques. Elle était de plus, disait-on, pleine de qualités inappréciables. Aussitôt qu'elle fut reconnue, des chuchotements coururent parmi les femmes honnêtes, et les mots de "prostituée", et de "honte publique" furent chuchotés si haut qu'elle leva la tête. Alors elle promena sur ses voisins un regard tellement provocant et hardi qu'un grand silence aussitôt régna, et tout le monde baissa les yeux à l'exception de Loiseau, qui la guettait d'un air émoustillé.»
Guy de Maupassant, Boule de Suif, 1880.
Texte 5
«Personne ne savait son vrai nom ; peut-être qu'il n'en avait pas. Dans les villages, on l'appelait l'homme aux grenouilles. Il avait quarante ans, ou soixante. Sa face ne décelait point d'âge, si meurtrie, si mutilée qu'elle n'était plus une face humaine, mais un masque péniblement inerte où les yeux semblaient luire comme à travers deux trous. Sur son front, sur ses joues, des cicatrices de variole demeuraient blanches parmi de rousses tavelures d'éphélides*. Il portait d'autres cicatrices, brouillées, mêlées, bourgeonneuses. l'une d'elles, ayant rongé une aile de son nez, faisait là un trou laid à voir : c'était peut-être la trace d'une vilaine maladie, peut-être celle d'un coup de couteau. Mais l'homme était si doux dans ses manières, si poli avec tout le monde qu'on ne pouvait croire au souvenir d'une batterie**. II était chaussé d'espadrilles et vêtu de hardes très propres. On le sentait de corps souple et solide, tout en nerfs Il n'y avait qu'à le voir marcher, couler sans bruit ses pas dans l'herbe, onduler de l'échine comme un chat en maraude, pour deviner en lui une grande force agile et secrète. On ne s'expliquait guère pourquoi, dans les hameaux de la campagne il ne passait point pour sorcier. Il avait paru étrangement, on ne savait plus quand, venu on n'avait su d'où. On ne lui connaissait point de logis. II dormait dans les granges, dans les étables, au pied des meules, dans les fossés des routes, nulle part. [...] Il pratiquait un innocent métier, il n'était que l'homme aux grenouilles.»
*Petites taches disséminées sur le visage (taches de rousseur) ** lutte, dispute
Maurice Genevoix, La Boîte à pêche, 1926.
Texte 6
«César Soubeyran approchait de la soixantaine. Ses cheveux, rudes et drus, étaient d'un blanc jaunâtre strié de quelques fils roux ; de noires pattes d'araignées sortaient de ses narines pour s'accrocher à l'épaisse moustache grise, et ses paroles sifflotaient entre des incisives verdâtres que l'arthrite avaient allongées. Il était encore robuste, mais souvent martyrisé par "les douleurs", c'est à dire par un rhumatisme qui chauffait cruellement sa jambe droite ; il soutenait alors sa marche en s'appuyant sur une canne à poignée, et se livrait aux travaux des champs à quatre pattes, ou assis sur un petit escabeau. Comme Philoxène, mais depuis plus longtemps, il avait sa part de gloire militaire. A la suite d'une violente querelle - et peut-être aussi, disait-on, à cause d'un chagrin d'amour -, il s'était engagé dans les zouaves, et il avait fait la dernière campagne d'Afrique, dans l'extrême sud. Deux fois blessé, il en était revenu, vers 1882, avec une pension, et la médaille militaire, dont le glorieux ruban ornait son veston des dimanches. Il avait été beau jadis, et ses yeux - restés noirs et profonds - avaient tourné la tête à bien des filles du village, et même d'ailleurs ... . Maintenant on l'appelait le Papet. Le Papet, d'ordinaire, c'est le grand-père. Or, César Soubeyran ne s'était jamais marié, mais il devait ce titre au fait qu'il était le plus vieux survivant de la famille, en somme un Pater Familias, détenteur du nom et de l'autorité souveraine. Il habitait la grande vieille maison des Soubeyran, au plus haut des Bastides, près de l'aire éventée qui dominait le village.»
Marcel Pagnol, Jean de Florette, 1937.
Texte 7
«Le premier qui arriva fut Pinhas Solal, dit Mangeclous. C'était un ardent, maigre et long phtisique* à la barbe fourchue, au visage décharné et tourmenté, aux pommettes rouges, aux immenses pieds nus, tannés, fort sales, osseux, poilus et veineux, et dont les orteils étaient effrayamment écartés. Il ne portait jamais de chaussures, prétendant que ses extrémités étaient "de grande délicatesse". Par contre, il était, comme d'habitude, coiffé d'un haut-de-forme et revêtu d'une redingote crasseuse et ce, pour honorer sa profession de faux avocat qu'il appelait "mon apostolat"**. Mangeclous était surnommé aussi Capitaine des Vents à cause d'une particularité physiologique dont il était vain***. Un de ses autres surnoms était Parole d'Honneur expression dont il émaillait ses discours peu véridiques. Tuberculeux depuis un quart de siècle mais fort gaillard, il était doté d'une toux si vibrante qu'elle avait fait tomber un soir le lampadaire de la synagogue. Son appétit était célèbre dans tout l'Orient non moins que son éloquence et son amour immodéré de l’argent. Presque toujours il se promenait en traînant une voiturette qui contenait des boissons glacées et des victuailles à lui seul destinées. On l'appelait Mangeclous parce que, prétendait-il avec le sourire sardonique**** qui lui était coutumier, il avait en son enfance dévoré une douzaine de vis pour calmer son inexorable faim. Une profonde rigole médiane traversait son crâne hâlé et chauve auquel elle donnait l'aspect d'une selle. Il disposait en cette dépression divers objets tels que cigarettes ou crayons.»
*Malade atteint de tuberculose ** Action désintéressée ***Orgueilleux ****Moqueur, teinté de méchanceté
Albert Cohen, Mangeclous, 1938.
Texte 8
«Il* avait des gestes aussi lents et déphasés que sa démarche, ceux d'un homme que rien ne peut apparemment bousculer, non pas parce qu'il est vigoureux, mais parce qu'il est ailleurs. Il avait son rythme. II semblait ne pas tenir compte de l'univers qui l'entourait. Ses yeux n'avaient pas une fois rencontré ceux des auditeurs, on eût dit qu'il faisait tout pour retarder le moment où il faudrait lever la tête et découvrir trois cents visages, ouvrir la bouche et prononcer des mots. II était vêtu d'une belle veste fatiguée en tweed à chevrons gris et blancs, d'un pantalon de laine lourde et grise, de brodequins sombres, et il portait une cravate en tricot sur une chemise claire à col boutonné. La cravate était d'un rouge criard et contrastait avec le reste de sa tenue. Tout en lui respirait la distance, ou bien était-ce un reste de sommeil, ou encore était-il accablé par une sorte d'ennui, de gêne, d'interrogation sur le bien-fondé de sa présence en ces murs, devant ces inconnus. Il ressemblait aux rares photos dont on illustrait en général le dos de la couverture de ses romans, mais autant ces portraits avaient pu renvoyer l'impression d'un personnage opaque, épais, presque massif, autant ce matin-là, William Faulkner me parut chétif, fragile, à côté de la réalité. (...) (...) Sa moustache blond jaunâtre était celle d'un vieux berger. Sous des yeux dont la prunelle noire semblait sans cesse agacée et voilée par je ne sais quelle fine couche de mica humide, il avait des poches de chair rosacées et gonflées. Les rides se promenaient sur son front, ses joues et son menton, comme des rigoles de pluie sur une terre d'argile trop longtemps asséchée. Il avait un nez fort et légèrement busqué**, et il se dégageait de cette belle gueule ravagée par les nuits blanches et par l'alcool de grain une séduction qui n'était pas seulement due à ce que nous savions de lui et de son œuvre, mais à son physique même, à ce que ce physique exprimait.»
*L’écrivain américain William Faulkner **Courbé vers l'extérieur
Philippe Labro, L'étudiant étranger, 1986 |