SUJET BAC TERTIAIRE – ACADÉMIE DE PARIS – SESSION JUIN 2002

 

Dans Le Voile Noir, Anny Duperey se penche sur son enfance marquée par la disparition accidentelle de ses parents alors qu'elle n'avait que huit ans et demi. La photo ci-dessous qui la représente avec son père est extraite de ce livre.

Photographie de Lucien Legras (père d'Anny Duperey), Le Voile Noir, 1992

 

TEXTE 1

 

Les maillots qui grattent

 

Oh ! Une réminiscence ? Un vague, très vague souvenir d'une sensation d'enfance : les maillots tricotés main qui grattent partout lorsqu'ils sont mouillés... Ce n'est pas le plus agréable des souvenirs mais qu'importe, c'en est au moins un.

Et je suis frappée de constater encore une fois, en regardant sur ces photos les vêtements que nous portons ma mère et moi, que tout, absolument tout, à part nos chaussures et les chapeaux de paille, était fait à la maison. Jusqu'aux maillots de bain.

Que d'attention, que d'heures de travail pour me vêtir ainsi de la tête aux pieds. Que d'amour dans les mains qui prenaient mes mesures, tricotaient sans relâche. Est-ce pour me consoler d'avoir perdu tout cela, pour me rassurer que je passai des années à fabriquer mes propres vêtements, plus tard ?

Et puis qu'importe ces histoires de vêtements, de maniaquerie couturière, et qu'importe cette si vague réminiscence des maillots qui grattent, si fugitive que déjà je doute de l'avoir retrouvée un instant... Ce qui me fascine sur cette photo, m'émeut aux larmes, c'est la main de mon père sur ma jambe. La manière si tendre dont elle entoure mon genou, légère mais prête à parer toute chute, et ma petite main à moi abandonnée sur son cou. Ces deux mains, l'une qui soutient et l'autre qui se repose sur lui.

Après la photo il a dû resserrer son étreinte, m'amener à plier les genoux, j'ai dû me laisser aller contre lui, confiante, et il a dû me faire descendre du bateau en disant "hop là", comme le font tous les pères en emportant leur enfant dans leurs bras pour sauter un obstacle.

Nous avons dû gaiement rejoindre ma mère qui rangeait l'appareil photo et marcher tous les trois sur la plage. J'ai dû vivre cela, oui...

La photo me dit qu'il faisait beau, qu'il y avait du vent dans mes cheveux, que la lumière de la côte normande devait être magnifique ce jour-là.

Et entre mes deux parents à moi, si naturellement et si complètement à moi pour quelque temps encore, j'ai dû me plaindre des coquillages qui piquent les pieds, comme le font tous les enfants ignorants de leurs richesses.

 

Anny DUPEREY, Le Voile Noir, 1992.

 

TEXTE 2

 

Un an après la publication du Voile noir, Anny Duperey réunit dans le livre Je vous écris, certaines des lettres que ses lecteurs lui ont envoyées. En voici une :

 

Comme vous doutiez de la finalité de votre livre, je doute de l'utilité de cette lettre.

J'ai dix-huit ans, je suis étudiante et je sais maintenant, je sens que si j'en suis là aujourd'hui, avec tout l'avenir devant moi et des souvenirs tous plus beaux les uns que les autres dans la tête, c'est grâce à eux, mes chers parents, mes très chers parents ...Alors, merci.

J'ignorais, je ne voulais pas voir la place qu'ils occupent dans ma vie Je me refusais à les reconnaître. Mes parents étaient mes souffre-douleur désignés, ils étaient des étrangers gênants à éviter, ou pire, à haïr. Ils n'existaient pas.

J'ai lu votre livre. Comme tout le monde j'ai été émue et bouleversée tant votre douleur et votre courage sont grands.

Mais plus que tout, votre témoignage hurlant m'a éclaté à la figure, une petite bombe savamment dosée, votre témoignage m'a flanqué une vraie gifle.

Ce vers quoi désespérément vous tendez, je l'ai sous les yeux, je le côtoie jour après jour. Alors qu'après trente-cinq ans de séparation vous ne pouvez toujours pas vivre sans eux, moi comme une enfant gâtée qui casse tous ses jouets, je les évince, tout en sachant pertinemment qu'au moindre petit bobo, ils sont là. Après avoir lu votre livre, c'était un devoir moral impérieux de voir mes parents avec d'autres yeux plus responsables ...

Alors, merci, Anny, merci du fond du cœur. Tout ça va vous paraître dérisoire. Veuillez m'en excuser. Néanmoins, ce qu'à travers votre livre vous m'avez donné — l'amour de mes parents — est inestimable.

 

Anny DUPEREY, Je vous écris, 1993.

 


 

COMPÉTENCES DE LECTURE (12 points)

 

1 - Photographie et texte 1 : Qu'y-a-t-il de banal, à première vue, dans cette photographie ? En quoi la lecture du texte 1 invite-t-elle le lecteur à regarder différemment cette photographie ? Justifiez votre réponse à l'aide d'exemples précis tirés du texte. (5 points)

2 - Texte 1 : "... il a dû resserrer... j'ai dû me laisser aller... il a dû me faire descendre... nous avons dû gaiement rejoindre... j'ai dû vivre cela... j'ai dû me plaindre..." : proposez au moins deux synonymes de cette tournure verbale (avoir dû + infinitif). Que révèle la répétition de cette tournure ? (4 points)

3 - Dans son livre Autobiographie et récit de vie, Philippe Lejeune écrit : "Le lecteur trouve [dans l'autobiographie], par comparaison, une occasion de réfléchir à sa propre identité". En quoi la lettre d'une lectrice texte 2) illustre-t-elle cette affirmation ? (3 points)

 

COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (8 points)

 

Une exposition de photographies collectées auprès des élèves sur le thème de l'enfance doit être organisée dans votre établissement. Un débat a lieu dans votre classe. Certains pensent que montrer à d'autres des photographies de soi présente un intérêt ; d'autres, en revanche, pensent le contraire.

Vous rendez compte du débat en exposant successivement les deux points de vue (une quarantaine de lignes).