B ) Interdisciplinarité, transdisciplinarité et pluridisciplinarité : une terminologie à préciser

 

Nous avons l'habitude de lire ou d'utiliser le terme "disciplinaire" associé à différents préfixes qui en nuancent et précisent le sens (intradisciplinaire, transdisciplinaire, multidisciplinaire, interdisciplinaire, pluridisciplinaire). Ces expressions se rapportent chacune à des situations ou comportements pédagogiques particuliers.

 

L'essentiel est de bien s'entendre sur ce qui est attendu et donc de savoir pourquoi on choisit telle ou telle stratégie pédagogique. Cette réflexion évite l'utilisation de cette dernière en tant qu'adhésion inconditionnée à un courant ou à un phénomène de "mode" pédagogique. Elle permet aussi de se débarrasser de ses a priori et de ses illusions.

 

Une démarche qui cherche à dépasser le cloisonnement habituel des disciplines ne doit pas être retenue "comme remède absolu à l'individualisme et à l'émiettement. Elle ne se justifie que par la diversité psychologique des publics enseignés et l'aspect systémique de toute situation professionnelle."[1]

 

Que faut-il donc envisager sous le terme "pluridisciplinaire" du PPCP ?

 

"La pluridisciplinarité envisagée ici est à considérer dans un sens large. Elle recouvre toutes les formes de coopération entre les disciplines, qu'il s'agisse d'une association en vue d'une réalisation commune ou de démarches de type interdisciplinaire ou transdisciplinaire"[2].

 

La pluridisciplinarité est à considérer comme un état : c'est l'association, la juxtaposition de plusieurs disciplines. En elle-même la pluridisciplinarité n'est pas une démarche pédagogique, mais elle induit des démarches pédagogiques : l'interdisciplinarité et la transdisciplinarité.

 

L'interdisciplinarité : c'est une démarche pédagogique qui est fondée sur le décloisonnement des disciplines. Les disciplines associées, tout en gardant leur spécificité, participent à un projet collectif en y apportant leurs savoirs et leurs méthodes. Elles collaborent et échangent entre elles pour répondre aux besoins de l'action et de la compréhension. L'interdisciplinarité est au service des disciplines dans un souci de retombée ou d'utilité directe à court ou moyen terme dans la discipline.

 

La transdisciplinarité : souvent la mise en oeuvre d'un travail commun engendre une complexité qui dépasse les cadres disciplinaires et implique le renforcement et / ou l'acquisition de compétences communes (transversales) aux disciplines associées. C'est donc là l'occasion d'utiliser la spécificité de chacune de ces disciplines pour atteindre ces objectifs communs (compétences transversales).

 

"A travers ces différentes démarches, l'objectif visé est l'acquisition des savoirs et des savoir faire des différentes disciplines. Il ne peut se limiter à l'acquisition de capacités ou compétences transversales"[3]. Donc, tout en en envisageant les deux apports comme objectifs de la coopération entre les disciplines, c'est l'interdisciplinarité qui doit être première dans les préoccupations de l'équipe pédagogique.

 

Si l'interdisciplinarité est nécessaire, elle n'est pas suffisante en soi.

 

"Déclarer l'avoir mise en place n'est pas avoir trouvé le remède miracle à toutes les insuffisances pédagogiques constatées"[4]. Il importe très rapidement de se débarrasser de plusieurs des illusions qui sont souvent attachées à l'interdisciplinarité : illusion de l'égalité nécessaire des disciplines, illusion d'une plus grande motivation des élèves et illusion de l'installation d'une harmonie au sein des équipes pédagogiques :

 

Illusion de l'égalité nécessaire des disciplines

 

"Croire qu'il n'y a pas d'interdisciplinarité possible s'il n'y a pas égalité entre les disciplines, c'est reconduire une attitude et une habitude couramment rencontrée dans notre système éducatif."[5] C'est une course effrénée et angoissée dans la recherche de l'identité disciplinaire. Il n'est pas rare de se surprendre à penser : "J'accepte de collaborer avec d'autres disciplines, mais il faut que ma matière ne soit pas sous-évaluée, soit présente à part entière ou au moins pour moitié." Ceci ne risque-t-il pas de réduire les champs d'action possibles de l'interdisciplinarité ? Plutôt qu'un souci de reconnaissance par la quantité, ne faut-il pas rechercher la reconnaissance par la légitimité et le bien-fondé de l'action de sa discipline à l'intérieur d'un projet donné ? Ainsi le rôle du français ne saurait se réduire à la correction de l'orthographe à l'intérieur de tout un projet.

 

Si une certaine inégalité semble inévitable selon les projets, il conviendrait peut-être de s'assurer néanmoins que la relation aux projets ne soit pas complètement artificielle. A défaut d'égalité quantitative entre les disciplines, l'équipe pédagogique devrait sans doute réfléchir à une égalité qualitative qui garantit la reconnaissance à tous, dès lors que chacun s'implique.

 

On peut penser que c'est l'illusion de l'égalité qui fait que ce sont bien souvent les disciplines dites "mineures" qui participent volontiers, fréquemment et activement aux pratiques interdisciplinaires (arts appliqués, EPS, ...). Peut-être est-ce là un moyen de reconnaissance et l'occasion d'affirmer son existence ?

 

Cependant, comme l'affirme l'équipe pilote de l'académie de Reims, "aborder l'interdisciplinarité en terme d'égalité, c'est courir le risque de tomber dans un partage artificiel du temps, des tâches et de l'espace sans avoir réellement débattu de la pertinence des objectifs à  atteindre et des stratégies à poursuivre. Stratégiquement, il est peut-être important qu'une discipline se mette au service de l'autre, mais il convient de le définir en amont et de le faire en toute conscience. Il faut perdre l'illusion de l'installation d'une égalité obligatoire et nécessaire entre les disciplines."[6] La seule entrée à privilégier est celle du maintien de la spécificité de chaque discipline dans les activités pédagogiques interdisciplinaires. Là encore, l'exercice est difficile : comment un enseignant d'EPS, par exemple, pourrait-il s'impliquer dans des projets très pointus qui ne mobiliseraient pas sa spécificité ?

 

Deux interrogations doivent conduire la réflexion :

  • Quelle est la spécificité de l'apport de ma discipline dans la poursuite d'objectifs communs et multidisciplinaires ?

  • Quelles incidences cette poursuite a-t-elle en retour sur les objectifs spécifiques de ma discipline ?

Illusion d'une plus grande motivation des élèves

 

Penser que, seule, la mise en place d'activités interdisciplinaires suffit pour remotiver les élèves est utopique. Les élèves sont trop habitués au cloisonnement disciplinaire. L'interdisciplinarité risque même de les désorienter. Souvent ces activités sont présentées comme des activités périphériques à l'acte quotidien d'enseignement ; puis, ne faisant pas toujours l'objet d'évaluations, elles apparaissent aux yeux des élèves comme "gratuites".

 

La motivation reste donc à construire. Sans doute passera-t-elle par le changement d'image de l'interdisciplinarité sur le modèle du PPCP, c'est-à-dire en intégrant la démarche à l'acte "ordinaire" d'enseignement, en évaluant le travail accompli et en choisissant un projet en relation avec l'objectif de formation.

 

Illusion de l'installation de l'harmonie au sein des équipes pédagogiques

 

Construire une équipe, c'est rechercher une entente, une harmonie. Cependant, cette harmonie ne va pas de soi. Au contraire, la recherche de consensus, de compromis provisoires, d'objectifs communs ne peuvent, comme l'affirme le groupe de Reims, "se réaliser qu'à travers des conflits explicites ou implicites. Les premiers sont souvent ceux qui sont liés aux programmes ou aux référentiels ; chacun étant très vigilant sur ce qui lui revient ou lui incombe de droit. Les seconds, qui ne surgissent pas d'emblée mais qui planent souvent sur tous les groupes, sont cependant les plus importants. Ce sont ceux qui sont liés aux valeurs, aux finalités de l'éducation, au rôle et au statut de l'enseignant. Aucune équipe n'y échappe. Les réactions des membres sont très variées. Certains s'opposent systématiquement à toute idée qui ne va pas dans leur sens et ils menacent de se retirer. D'autres fuient l'opposition et le conflit en se ralliant à l'opinion générale. Ces derniers ne manqueront pas de reprendre complète autonomie au sein de leur classe."[7]

 

Devant ces difficultés, la tentation est grande de constituer les groupes ou les équipes sur des critères affectifs ou d'affinités. Malgré leur apparente commodité, ces critères sont néanmoins illusoires. En effet, ajoute-t-on au groupe de Reims, "rien ne sert de courir après l'hypothétique entente harmonieuse. Mieux vaut essayer de mieux gérer les conflits. Une meilleure gestion des conflits passe par la mise à plat claire et nette des objectifs spécifiques de chaque discipline d'une part et des objectifs transdisciplinaires d'autre part"[8]. Elle permet l'installation d'un compromis provisoire, le temps d'un  projet, pour atteindre chacun de ces objectifs.

 

1 Citation tirée d'un article non signé, se trouvant sur le site pilote de l'académie de Reims : "Pluridisciplinarité, transdisciplinarité, interdisciplinarité : de quoi parlons-nous ? "

2 B.O. n° 25 du 29 juin 2000, op. cit.

3 Ibid.

4 Site pilote de l'académie de Reims (cf. note 6 ).

5 Ibid.

6 Ibid.

7 Ibid.

8 Ibid.

 

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